Jean-François Conta
Entre chien et loup
PAR CLOTHILDE MONAT
Jean François Conta est un artiste peintre qui éprouve un besoin viscéral de se confronter à la matière ; l’oeuvre naît de ce corps à corps animé par la fougue. Les lignes se superposent avec force, la lumière s’immisce, s’invite entre les traits de fusain noir épais que le peintre dépose. Autant de fulgurances qui expriment une vision intérieure tumultueuse, profonde.
Entre-deux subtil
Jean-François Conta aime capter le jeu des reflets, le jeu de la lumière entre les interstices. Il raconte les contrastes : souvenir ou fantasme, précision des traits ou transparence, voire déformation pour mieux réinventer les perceptions, jaillissement de l’imprévu dans le familier… L’émotion sur le terrain… Ces heures Entre Chien et Loup sont celles qu’il privilégie. Elles ont d’ailleurs inspiré le titre de sa présente oeuvre qui se décline en immenses diptyques représentant des « stations », ces lieux sur lesquels il revient toujours comme s’il effectuait un rituel incontournable … Les souvenirs nourrissent son inspiration : les toiles évoquent la nature les arbres et la rivière. Enfant, il avait l’habitude de s’y rendre pour aller pêcher de nuit. Sensible aux ombres naissantes, reflets de nos peurs, Jean-François oublie qu’il ne perçoit pas la totalité des nuances du fait d’une particularité de sa vision. Pris par les teintes sombres des paysages, il les retranscrit comme un écho à sa profondeur d’âme, un écho à des secrets enfouis. La tombée de la nuit, Entre Chien et Loup est un instant précieux et propice à sa création.
Diptyque 162x130x2
Sur les bords de l’Orne entre chien et loup
… Le travail à l’atelier
Sa peinture nait de la confrontation avec ses propres réminiscences et s’achève dans l’intimité de l’atelier…Avec sa lampe frontale, pour unique lumière, dans l’obscurité de son atelier il retranscrit ce spectacle nocturne. Il danse avec ses pinceaux. Il observe, ressent, bondit, rectifie sa peinture par un long tracé vigoureux ou parfois par un rapide ajout de matière. L’énergie fuse, jaillit, avec une spatule de plâtrier. A la vitesse d’un danseur il s’approprie la scène. Mais, ne nous y trompons pas. Ce qui semble être un jeu artistique est en réalité une entreprise sérieuse à la lisière des autres arts. « J’ai travaillé auparavant sur la danse. J’adore la musique, surtout la musique baroque. Même si je n’en écoute pas en peignant, je pense qu’elle se retrouve dans mes toiles. » précise cet artiste qui, pédagogue, est aussi le fondateur de l’Atelier Conta qu’il a créé à Caen il y a 37 ans , accueillant des enfants, des adultes et des adolescents qui préparent les grandes écoles d’arts. Durant l’été 2023, c’est à l’Abbaye-aux-Dames de Caen, qu’une trentaine de ses toiles représentant des paysages nocturnes entre chien et loup ont été exposées auprès d’un public très nombreux. Le travail de Jean-François CONTA a été également présenté en Italie, au Musée Belleni à Florence et à la galerie Il Leone de Rome. En Normandie, Jean François CONTA, l’enfant du pays est apprécié et reconnu. En témoigne l’acquisition par la Région de son grand diptyque Les Jardins du Paradis et le FRAC (Fond régional d’art contemporain) d’un diptyque Le Pont du Hom. Grâce au soutien de la Région, son travail sera présenté en 2027 à Palerme au Palazzo ZENO pour célébrer le millénaire de la Région Normandie. Après Caen, Paris et Toulouse, ce sera au tour de Palerme et bientôt le Sud de la France d’accueillir cette année les impressionnants diptyques de Jean François Conta, une belle année de consécration bien méritée.
Entretien avec Jean-François Conta
dans son atelier de peinture à Caen
PAR NADÈGE MOHA
100×100
La cabane de René sur les bords de l’Orne
Entre chien et loup, quelle évocation plus poétique pour signifier le passage de la lumière à la nuit. C’est ce moment privilégié que Jean François Conta a choisi pour peindre sa rivière. Entre chiens et loup, c’est le grand passage du jour à la nuit, du rêve au mystère de la transformation, c’est le grand voyage des ombres vers des réminiscences lointaines. Rencontre avec cet artiste énigmatique et libre dans son atelier-école à Caen.
Vous avez une technique particulière de peindre bien propre à vous, racontez nous ?
J’exécute d’abord des croquis sur place à la rivière, à la tombée de la nuit. Parfois, j’emporte avec moi de grandes toiles que je transporte à l’aide d’un charriot. Lorsque je rentre à l’atelier, je poursuis mon travail en recréant cette même luminosité, à l’aide d’une lampe frontale ; j’utilise une spatule de plâtrier et un peu de noir. C’est une gymnastique particulière, qui me demande beaucoup de concentration mais j’aime les difficultés. C’est un instrument qui laisse la place au hasard. Sans le hasard, il n’y a pas de création possible. J’utilise aussi des pinceaux ou bien mes doigts. C’est selon mon intuition ; Les premiers fusains… puis les couleurs arrivent …. C’est une aventure extraordinaire ; il n’y a rien d’esthétique dans ma peinture, je ne suis pas un décorateur, je ne cherche d’ailleurs pas à plaire.
Parlez- moi de votre relation avec les couleurs
J’ai un problème avec les couleurs, c’est une anomalie de naissance, je ne distingue pas certaines couleurs, certaines nuances. Je distingue seulement le jaune, le orange, le bleu ; Lorsque j’étais enfant, un médecin avait affirmé à ma mère que je développerai un sens que les autres non pas. Il avait raison, j’ai développé paradoxalement un sens aigu de la couleur. J’utilise très peu de matériel et peu de couleurs, de l’acrylique, ce qui me permet d’obtenir des transparences et des nuances, à l’aide de quatre pinceaux et 5 tubes de couleur, pas plus, du bleu, du jaune, du noir, du blanc. Il n’y a pas d’artifice dans ma peinture, je ne cherche pas à séduire.
Avez-vous parfois la sensation d’être connecté à quelque chose de surnaturel lorsque vous peignez ?
Oui tout le temps et parfois une troisième main me guide
Comment ça ? L’inspiration ? Voulez -vous dire ?
Oui mais pas uniquement l’inspiration, c’est aussi la main qui sublime comme par magie, celle qui finalise et là, rien ne peut vous arrêter, c’est comme une source qui coule, mais ça ne prévient pas, c’est un instant hors du temps et c’est ce qui permet d’être unique, de se surpasser. Et je sais que mon oeuvre est achevée lorsque mon esprit est vide. Il y a comme une résonnance entre mon cerveau, mes yeux et ma main.
« La rivière m’a tout appris, les saisons, la vie et la mort. »
Vous revenez sans cesse sur les mêmes lieux comme sur un lieu de pèlerinage, un rituel, ces sources d’inspiration sont-elles inépuisables ?
J’ai commencé à peindre lorsque j’avais 17ans. Je peins la rivière de mon enfance, celle qui m’a apporté tant de bonheur et je reviens sur ces lieux de souvenirs merveilleux. C’est inépuisable car à chaque fois, j’y ajoute de la magie. Je pourrais peindre de mémoire ces lieux directement depuis mon atelier, sans me rendre sur place. Mais revenir sur les lieux de mes souvenirs, avec leurs odeurs, le chant des oiseaux, le bruit de l’eau, le bleu du ciel qui vient se poser sur l’eau des marécages et se reflète comme dans un miroir … Tout cela fait partie de mon spectacle. Comme je vous l’ai déjà dit, peindre c’est raconter une histoire ; depuis la nuit des temps, la peinture est un message et non une image.
Même dans l’Art figuratif ?
Absolument, dans l’art figuratif, il y a les peintres qui ont un message à nous délivrer et il y a les autres…. Ceux qui font de la décoration !!!! Il est possible de peindre les sentiments que l’on éprouve, ils se concrétisent par des couleurs, des taches, des traits, des courbes, c’est très gestuel et lyrique. L’Abstraction quant à elle est un jardin secret, elle est une façon de projeter ses émotions et ses sentiments sans passer par la représentation ; Depuis deux ans et demi, Je peins ma rivière, celle de mon enfance, entre chien et loup ; c’est très puissant. A une période de ma vie, la peinture avait pris toute la place, l’envie de peindre me prenait à n’importe quel moment. Alors, je me suis fâché avec elle pendant de nombreuses années…
BIOGRAPHIE
Le peintre Jean François Conta est né à Caen en 1961. Il s’engage dans la peinture à 17 ans et la même année expose à Paris. Viendront plusieurs expositions dans des galeries et lieux prestigieux comme l’église de la Madeleine à Paris et le musée Bellini à Florence. Plusieurs de ses œuvres font partie de collections privées et publiques, celle de l’ancien président du Sénégal Léopold Sedar Senghor, du FRAC de L’ODACC, la région Normandie… Il prépare actuellement une grande exposition au palais Riso à Palerme centre d’art contemporain de Sicile.