Juan Carmona,
le guitariste flamenco qui jongle entre tradition et liberté
PAR CLOTHILDE MONAT
Comment présenter Juan Carmona sinon comme le chantre de la diversité ?
Portrait d’un musicien – magicien.
GARDER L’ÂME DU FLAMENCO EN S’ÉCHAPPANT DU CADRE
Surprise lors d’une nuit flamenca ! Violons, flûtes traversières et hautbois font résonner la plainte andalouse au coeur d’un orchestre philarmonique ! Les accords de guitare s’y intègrent malgré l’atmosphère intimiste qu’ils génèrent. Une spontanéité inattendue naît de cette rencontre, et, pour le public, le plaisir de se laisser surprendre ! Depuis le début de sa carrière déjà longue, Juan Carmona joue avec les codes, transcendant les règles pour proposer des alliances originales : flamenco et classique, flamenco et musique brésilienne, flamenco et jazz, culture indienne et flamenco… Paco de Lucia, son très grand maître, lui a transmis cette ouverture d’esprit. Dans ce jeu de cache-cache avec son public, Juan est toujours là où on ne l’attend pas… Ses concerts et les albums qu’il enregistre sont autant de kaléidoscopes où les émotions finissent par s’enchevêtrer, chaleureuses, colorées. Il les exprime avec sincérité, comme le font les gitans grâce auxquels il s’est formé, dès l’âge de sept ans, en essayant de reproduire les accords de guitare qu’il entendait. Aujourd’hui Juan souhaite respecter l’essence de cette culture flamenca qu’il a apprise à Jerez de la Frontera, pendant une douzaine d’années, auprès des plus grands représentants du plus pur flamenco. Sans pour autant renoncer à sa liberté d’artiste.
UN VOYAGEUR VISIONNAIRE ANCRÉ DANS LA TRADITION
L’histoire de ses albums est devenue légendaire. En témoigne celle de l’opus « Perla de Oriente ». Le titre évoquerait facilement une ville des Mille et Une Nuits s’il ne renvoyait en réalité à Shangaï et à son joli surnom. De même que la mégapole chinoise présente un air de ressemblance avec New-York, dans cet album de 2016, la guitare de Juan mêle l’inattendu au traditionnel. En 2017, le musicien prodige s’enflamme pour le chaâbi, ce genre musical très populaire à Alger. Et, là encore, les facettes s’ouvrent, telles des miroirs enchevêtrés, et laissent entrer le flamenco de Juan dans un univers sonore insolite où le oud côtoie la guitare. 2021. Nouvelle mosaïque. Elle s’inspire des voyages de Zyriab, cet artiste fondateur de la musique arabo-andalouse. L’ idée de génie consiste à reproduire, dans l’album éponyme, le voyage du poète du IXème siècle, de Bagdad à Cordoue. A chaque étape, Juan Carmona invite un artiste différent, sollicitant les plus grands pour partager la scène avec lui : Ibrahim Maalouf, au Liban, l’orchestre symphonique national, en Turquie, et les musiciens du Roi, au Maroc. Le petit autodidacte de sept ans fasciné par les doigts des gitans courant sur les cordes de leur guitare aura fait du chemin depuis Aubagne et Lyon, sa ville natale,..
… Le travail à l’atelier
Sa peinture nait de la confrontation avec ses propres réminiscences et s’achève dans l’intimité de l’atelier…Avec sa lampe frontale, pour unique lumière, dans l’obscurité de son atelier il retranscrit ce spectacle nocturne. Il danse avec ses pinceaux. Il observe, ressent, bondit, rectifie sa peinture par un long tracé vigoureux ou parfois par un rapide ajout de matière. L’énergie fuse, jaillit, avec une spatule de plâtrier. A la vitesse d’un danseur il s’approprie la scène. Mais, ne nous y trompons pas. Ce qui semble être un jeu artistique est en réalité une entreprise sérieuse à la lisière des autres arts. « J’ai travaillé auparavant sur la danse. J’adore la musique, surtout la musique baroque. Même si je n’en écoute pas en peignant, je pense qu’elle se retrouve dans mes toiles. » précise cet artiste qui, pédagogue, est aussi le fondateur de l’Atelier Conta qu’il a créé à Caen il y a 37 ans , accueillant des enfants, des adultes et des adolescents qui préparent les grandes écoles d’arts. Durant l’été 2023, c’est à l’Abbaye-aux-Dames de Caen, qu’une trentaine de ses toiles représentant des paysages nocturnes entre chien et loup ont été exposées auprès d’un public très nombreux. Le travail de Jean-François CONTA a été également présenté en Italie, au Musée Belleni à Florence et à la galerie Il Leone de Rome. En Normandie, Jean François CONTA, l’enfant du pays est apprécié et reconnu. En témoigne l’acquisition par la Région de son grand diptyque Les Jardins du Paradis et le FRAC (Fond régional d’art contemporain) d’un diptyque Le Pont du Hom. Grâce au soutien de la Région, son travail sera présenté en 2027 à Palerme au Palazzo ZENO pour célébrer le millénaire de la Région Normandie. Après Caen, Paris et Toulouse, ce sera au tour de Palerme et bientôt le Sud de la France d’accueillir cette année les impressionnants diptyques de Jean François Conta, une belle année de consécration bien méritée.
Rencontre AVEC JUAN CARMONA
Raconte-moi ton histoire avec le flamenco
PAR NADÈGE MOHA
LA BELLE HISTOIRE
Je suis issu d’une famille gitane andalouse. Mes parents ont fui l’Espagne franquiste pour trouver refuge en Algérie. C’est là que commence l’histoire. J’avais sept ans quand j’ai découvert la guitare — un son qui m’a immédiatement fasciné. L’un de mes oncles en jouait. J’attendais Noël non pour les jouets, mais pour l’écouter jouer. C’était mon plus beau cadeau. Mon père, menuisier aux chantiers navals de La Ciotat, a un jour trouvé une guitare abîmée. Il l’a réparée, remise en état, puis l’a soigneusement rangée… en interdisant à quiconque d’y toucher. Mais j’ai désobéi. Je la prenais en cachette. Un jour, il m’a surpris. Il ne m’a pas grondé. Il m’a dit : « Je vois que tu y tiens, que tu en prends soin. Ne te cache plus. Joue ! » C’est ainsi que j’ai appris la guitare, seul, par l’écoute. Une transmission purement orale. Je déchiffrais les accords en regardant la télévision, en écoutant des disques, en répétant sans relâche. Mon premier concert, je l’ai donné à Marseille, à l’âge de 16 ans. Grâce à un ami. Ce soir-là, dans la salle, se trouvait le directeur de l’Institut Européen de Guitare. Il m’a proposé d’enseigner. À seize ans, j’enseignais déjà le flamenco. Puis tout s’est enchaîné. J’ai rencontré Jean-Félix et Francis Lalanne, je suis parti en tournée avec eux. Un jour, je me suis retrouvé à l’Olympia. Là, j’ai croisé Claude Lelouch, pour qui j’ai ensuite composé la musique du film La Belle Histoire. Vladimir Cosma m’a lui aussi fait confiance, en me demandant de signer la bande originale de Cuisine et dépendances. Les contrats internationaux se sont multipliés. Je suis retourné aux sources, à Xérès, berceau du flamenco. J’y ai remporté l’un des concours les plus prestigieux. J’ai joué au Royal Albert Hall, au Carnegie Hall. Lors du festival de Marrakech, un homme m’a abordé : « J’aimerais travailler avec vous », m’a-t-il dit. C’était le chef d’orchestre du roi du Maroc. Il m’a proposé de transcrire ma musique. C’est là qu’est née Sinfonia Flamenca. Une oeuvre jouée aux Grammy Awards, à Los Angeles, et aujourd’hui demandée par des orchestres du monde entier. L’Opéra de Montpellier vient même de la proposer dans le cadre de la candidature de la ville au titre de Capitale Européenne de la Culture. Ce parcours, c’est le rêve d’un enfant que j’ai eu la chance de réaliser. Je rêvais d’Al Di Meola, de John McLaughlin. Et aujourd’hui, je joue avec eux. Je reviens tout juste d’une tournée avec Al Di Meola.
Tu as appris le solfège, depuis ?
Non. Le flamenco se transmet par la tradition orale. Je ne lis pas la musique. Je compose avec ma spontanéité, mon instinct. Mes partitions sont ensuite transcrites par d’autres, et dirigées par les chefs d’orchestre. Je me suis néanmoins formé auprès d’Isidro Sanlúcar, et j’ai suivi une formation diplômante pour pouvoir enseigner le flamenco dans le monde entier : en Chine, en Inde, aux États-Unis… pour transmettre cette tradition, sans la trahir.
Ta musique se nourrit de nombreuses influences. Peux-tu m’en parler ?
J’ai toujours pris des risques. Très jeune, à 16 ans, j’ai rencontré Larry Coryell, le fils de Django Reinhardt, Baden Powell… Ils m’ont ouvert à d’autres horizons. À l’époque, le flamenco était une musique très fermée. Moi, j’ai voulu l’ouvrir : aujourd’hui, j’y mêle des voix sépharades, du jazz, des musiques du monde, des chants venus de Syrie, d’Inde…
Qui sont tes maîtres ?
Paco de Lucía. C’est lui qui a ouvert les portes. Après lui, toute une génération de jeunes musiciens a osé bousculer cette musique. Mon dernier album est le fruit de cette ouverture : on y retrouve le Paris Jazz Big Band, le fils du contrebassiste de Coltrane, Matt Garrison, Al Di Meola, Luis Guerra, des musiciens cubains, des grandes voix du flamenco… Mon flamenco ne renie rien de ses racines, il s’ouvre simplement au monde. C’est naturel. Comme un peintre qui aurait hérité d’une palette infinie.
Tu es aussi le créateur des Nuits Flamencas…
Oui, en 2007, je revenais d’Espagne. Je jouais à Châteauvallon, lorsque Christian Tamet m’a proposé de créer un événement. C’est ainsi qu’est né le festival des Nuits Flamencas. Je l’ai également implanté à Aubagne. Aujourd’hui, l’événement rassemble 3 000 personnes et accueille les plus grandes figures du flamenco, des artistes que l’on retrouve aussi sur la scène du Carnegie Hall. Nous avons des partenariats avec les chaînes de télévision, et surtout… c’est gratuit.
As-tu encore un rêve ?
J’ai eu la chance de vivre l’inimaginable. J’ai joué avec le Bolchoï à Moscou, pour le Maharadjah d’Inde, dans les plus grandes salles du monde. J’ai côtoyé les figures du cinéma, de la musique, de la culture. Peut-être, un jour, jouer avec l’Orchestre symphonique de Berlin. Mais tu sais, dans la musique, il n’y a pas de frontière.
Quarante ans de carrière… Que t’inspirent ces années ?
Je vis cela avec humilité. Je viens d’un milieu très modeste, d’une famille gitane et prolétaire. Mes grandsparents vivaient dans un bidonville. Je n’oublierai jamais d’où je viens. Imagine : un musicien autodidacte, sans solfège, à qui l’Opéra de Sydney demande de jouer pendant trois jours… J’ai dit mille fois merci à mon père, avant qu’il ne nous quitte l’an dernier. C’est lui qui m’a fait découvrir Manitas de Plata, Paco de Lucía. Il adorait chanter. J’étais son guitariste, et nous jouions ensemble dans les restaurants. Peu avant sa mort, je lui ai rappelé tous ces souvenirs. Il m’a regardé. Et il a souri.