Chaque chemin est une rencontre

Eloi Dürrbach, Trévallon, l’héritage

Par Isabelle Dert Bono

En novembre dernier, le monde du vin perdait un de ses vignerons emblématiques. Par son indépendance d’esprit et la qualité de ses vins, Eloi Dürrbach a su gagner le respect de ses pairs et une place à part sur les plus grandes tables épicuriennes. Il a transmis sa passion et son savoir-faire à sa fille Ostiane et son fils Antoine , aujourd’hui en charge de l’héritage paternel avec leur sœur Isoline. Un héritage de vignes, d’oliviers et de nature préservée, qu’ils pérennisent sans volonté de le garder gravé dans le marbre, ce qui s’inscrit déjà dans la lignée de la pensée rebelle paternelle. Qui aurait misé sur cette terre aride, caillouteuse, malmenée par les vents et les températures extrêmes de ce versant nord des Alpilles ?

C’est pourtant là, au cœur du domaine paternel voué à la création artistique, qu’en 1973, Eloi Dürrbach réalisera son rêve de toute pièce. Sans écouter ceux qui lui prédisent l’échec, ni se plier aux carcans et diktats d’une appellation, il imagine et fait sortir de terre un vignoble unique et avant-gardiste dans son approche du vin.

ELOI DÜRRBACH EN QUELQUES MOTS

Issu d’une famille d’artiste, Eloi a baigné dans la création toute sa vie. A la table de Trévallon, son père le peintre sculpteur René Dürrbach et sa femme l’artiste Jacqueline La Beaume Dürrbach, recevaient leurs amis Picasso, Giono, et Alain Suby. C’est avec la vente de la tapisserie de Guernica créée par sa mère qu’Eloi financera la création du vignoble. Il ne pouvait enfanter qu’un vin de créateur.

« Pipi de Sainte Vierge », « Petit Jésus en culotte de velours » quelle que soit la couleur, ceux qui ont eu le bonheur d’en déguster en parle encore avec émotion.

Sur ces 60 hectares, il dessine avec sa femme Floriane 15 hectares d’un patchwork de petites parcelles de vignes lovées entre bois, garrigues et haies. La nature préservée qui les entoure crée un microclimat protecteur complexe et abrite une faune prédatrice d’insectes ravageurs. Son choix du bio, du respect du terroir et du vivant s’inscrit dès le départ dans l’ADN de Trévallon. Son objectif la qualité, et non la quantité. Conseillé par l’ampélographe Pierre Galet et par Georges Brunet, propriétaire du Château Vignelaure, il choisit un encépagement original de syrah et cabernet-sauvignon, allant à l’encontre de l’appellation Coteaux d’Aix-en-Provence. Qu’importe, il inscrit sa production en Vin de pays. Mis en avant au restaurant L’Oustaou de Beaumière, il ne tarde pas à subjuguer le marché américain grâce au critique Kermit Lynch. Un mythe est né.

Les mots d’Eloi Dürrbach
« Faire le vin c’est avoir de beaux fruits, après c’est simple, il faut agir le moins possible. Je fais de moins en moins de choses, c’est minimaliste, c’est simple, biblique. Nous ne contrôlons même plus les températures. Les levures indigènes réagissent, font leur travail. Au fond dans un grand millésime, on n’y est pas pour grand-chose. Il y a comme un mystère, quelque chose qui nous échappe et c’est tant mieux ».

Parti brutalement à 71 ans, il a tracé la voie et ses enfants reprennent le flambeau. Ostiane travaillait déjà depuis treize ans auprès de lui. S’il parlait peu, elle a beaucoup appris, notamment ce respect indispensable de la nature, du terroir et le minimalisme qui prévaut en cave. Avec son frère Antoine l’aide de sa sœur Isoline et une belle équipe en place depuis plusieurs décennies, la succession est assurée. Elle a confiance dans les choix faits par Eloi : « La vigne est plantée uniquement en sélection massale avec des enracinements profonds, les sols travaillés et peu nourris au fumier de mouton une fois tous les 3 ans. On pratique des enherbements régulièrement. Les sols calcaires, la végétation et l’environnement naturel très préservés, les sélections massales, forment un cocktail très favorable lors des étés extrêmement chauds, notre principal problème ces dernières années. Nous n’avons pas de perte de récolte, alors que rien n’est irrigué au-delà des jeunes plants de l’année. 

C’est tout cela l’esprit de Trévallon où Eloi Dürrbach a donné naissance à un vin hors normes et dont le succès ne s’est jamais démenti depuis plus de 40 ans. Parions que sa réponse aux visiteurs qui le questionnaient sur sa réussite « Faites-vous plaisir, c’est l’essentiel » traversera les époques et que les grands vins de Trévallon continueront à nous faire, à tous, plaisir.

Des étiquettes d’art pour un vin d’artiste

Outre le nectar qu’elles abritent, les bouteilles de Trévallon sont à elles-seules des œuvres d’art. Eloi confia 50 affiches à son père René Dürrbach, disparu en 1999 à l’âge de 89 ans. Peintre et sculpteur, ami de nombreux peintres dont Albert Gleizes pionnier du cubisme, Fernand Léger, Robert Delaunay et Pablo Picasso, il dessina dessus aux crayons de couleurs, selon son inspiration. Depuis 1996, cette collection exclusive offre à chaque millésime son étiquette caractérisée, choisie par la famille pour sublimer un peu plus la dive bouteille.