La saga Bréban, la Provence pour philosophie
Par Isabelle Dert Bono
Débutée en 1952 au fond d’un garage, l’épopée des Vins Bréban s’inscrit dans celle de la Provence et de ses rosés emblématiques. Raymond Bréban a voué l’art du négoce au service d’une région, exportant le soleil de Provence dans le monde entier au cœur de ses bouteilles de rosé
Tout commence par une histoire d’amour. Celle de Raymond Bréban, un jeune soldat berrichon qui, à la fin de la guerre, choisit notre belle Provence pour le joli sourire d’Odette. Ingénieur agronome, il crée son cabinet conseil à Brignoles en 1948. Collaborant avec les nombreuses coopératives locales, il accompagne les vins de la région et sent l’immense potentiel qui sommeille dans ces caves qui alimentent déjà Paris. Il rêve de produire un vin festif, populaire, meilleur marché que le champagne.
S’appuyant sur la méthode révolutionnaire de l’ingénieur J.A. Chaussepied, avec prise de mousse en cuve, il élabore le premier mousseux rosé. En 1952, la société de négoce et de vins effervescents Bréban voit le jour dans le garage de sa maison. C’est le début d’une saga familiale dont les descendants continuent d’écrire l’histoire, celle des Vins de Provence.
Dirigeant des Vins Bréban, son fils, Jean Jacques Bréban, réalise son rêve de vigneron à Lorgues, terre de vin varoise. Rencontre…
Que signifie faire du vin de négoce ?
A l’époque de mon père, les vignerons étaient regroupés en caves coopératives où ils amenaient leur raisin. Notre travail consistait à acheter des vins dans ces caves et à créer des marques de vin pour les positionner sur les marchés français et à l’export. La notoriété des Vins de Provence allant croissante, mon père a ajouté ce que nous appelons les « vins tranquilles » aux effervescents de notre catalogue de négoce. Nous sentions qu’ils avaient un vrai potentiel à l’export, et avons ouvert les marchés d’Europe et des USA.
Vous avez toujours baigné dans ce milieu, peut-on dire que vous êtes tombé dans le vin tout petit ?
Entre mon père qui développait les vins, voyageait à l’extérieur pour les vendre et ma maman qui s’occupait de l’administratif, le travail faisait partie de notre vie. Même quand la société a été déplacée pour s’agrandir, notre maison a suivi !
J’étais plus dans l’entreprise qu’à trainer dans les rues, ça me plaisait. Bien souvent, je faisais mes devoirs sur un coin du bureau paternel ! Mon père avait l’esprit pionnier. C’était moins facile qu’aujourd’hui, nous n’étions pas fortunés. Cette société a été construite de nos mains. Cela a pris du temps.
A la mort de votre père vous reprenez les Vins Bréban avec votre mère ?
Déjà impliqué après mon service militaire et mes études d’œnologie à Dijon, je n’ai jamais pensé à faire un autre métier, c’est une passion. Ma maman était un des piliers des Vins Bréban, tout passait par elle. Nous avons continué ensemble de répondre à la demande croissante des consommateurs toujours plus nombreux. Notre région est très touristique, nous faisions de l’export sur place auprès des français et des étrangers qui y venaient. Et la qualité des vins s’améliorait, une opportunité pour notre région. Mes enfants Laurent et Julie ont rejoint l’entreprise, ils apportent leur regard neuf sur l’évolution des Vins Bréban.
Depuis trois ans vous réalisez votre rêve de vigneron ?
J’ai toujours rêvé d’avoir un jour un pied à la terre, un domaine, nos vignes, pour faire notre vin. Cela a pris du temps. Au cours de mes voyages, j’ai vu beaucoup de beaux domaines à l’étranger, mais je voulais vivre ce rêve dans mon pays, en Provence, là où sont nos racines.
Plus qu’un domaine viticole, c’est une maison de famille qui se crée au Château L’Arnaude ?
Château L’Arnaude a été un coup de foudre ! D’une taille raisonnable, il a un charme simple, pas clinquant. Il nous ressemble. C’est un lieu familial et convivial pour recevoir autour des vins du domaine. Le terroir de Lorgues va nous permettre des faire des choses intéressantes, des vins d’exception, et non pas du volume pour alimenter la société Bréban.
Qu’est-ce que cela change de produire son propre vin ?
C’est une fierté. C’est le vin que je vinifie, qui me ressemble. J’essaye de lui insuffler notre personnalité. Un peintre ressent sa peinture comme un viticulteur ressent son vin. Il y a beaucoup de rosés de Provence, pourtant ils sont tous différent sous cette casquette commune.
Le changement climatique représente t-il un gros défi à relever pour le vignoble de Provence ?
Certains pensent qu’il aura disparu dans 30 ans. De nombreuses réflexions sont menées par l’ODG Côtes de Provence et le Comité des Vins de Provence. Que de grandes sociétés internationales viennent acheter des vignobles en Provence, cela conforte mon optimisme. De plus, un gros travail avec le canal de Provence est mené. Cela provoque des polémiques, alors que cette eau vient pour soutenir nos vignes, éviter qu’elles ne meurent, et non grossir la production. La viticulture provençale va trouver des solutions pour continuer. Nous avons aussi la chance d’avoir des jeunes enthousiastes voulant travailler le vignoble. Mon petit-fils Hugo qui fait ses études à Dijon s’implique déjà beaucoup pour, peut-être un jour venir nous rejoindre. Il a participé à l’élaboration d’une petite cuvée de vin blanc qui porte son nom.
Depuis 70 ans, le clan Bréban écrit son histoire varoise avec passion. En plantant ses racines à Lorgues, c’est pour eux l’aube d’une nouvelle aventure viticole où se profile déjà la quatrième génération d’une des grandes familles provençales du vin dont la discrétion est le maître mot.