Villa Noailles

JEAN-PIERRE BLANC

La passion des artistes

PAR ISABELLE DERT BONO

Accrochée à la colline, la ville et la Méditerranée à ses pieds, la belle centenaire bruisse des projets en cours dans ce lieu où tout semble possible. Au détour d’un long couloir ou d’un escalier, en tendant l’oreille, on perçoit l’écho des rires de Charles et Marie Laure de Noailles et de leurs hôtes facétieux, ricocher sur les murs de ce château cubiste baigné de soleil. Festivals, concerts, expositions et événements festifs imaginés par Jean-Pierre Blanc habitent désormais les lieux. « Si la passion disparait, on travaille, je n’ai pas l’impression de travailler. » Et de la passion il n’en manque assurément pas au directeur de la Villa Noailles « Le plaisir lié à la culture est indéniable et le confinement a sans doute déclenché une appétence renouvelée du public, plus légère et joyeuse, rendant l’éphémère plus intense. » Avec une fréquentation en hausse de 74% en 2023, la Villa Noailles en est le parfait exemple. Rencontre avec un créateur de lien au service de la culture et des artistes.

Autodidacte, que diriez-vous au jeune homme que vous étiez ?
JPB : Tout est possible, la preuve. Je viens d’un milieu très sportif où l’esprit de compétition et du dépassement de soi est essentiel, comme dans mon travail. Si je ne me suis jamais senti artiste, j’ai toujours pris beaucoup de plaisir à m’occuper d’eux. Leur métier est difficile. Il faut trouver des financements, des ateliers, des lieux de production et de présentation. Notre rôle de médiateur culturel et artistique est important. Dans les différents festivals que j’ai la chance d’organiser, il y a toujours quelque chose qui s’inscrit dans la durée. Il y a 40 ans ce milieu était très fermé. Je voulais faire s’exprimer et se rencontrer tous les talents. Accompagner, aider les jeunes créateurs en début de carrière, pour qu’ils ne soient pas obligés de subir l’ostracisme qu’on pourrait imaginer de ces milieux d’entre soi. C’est ce qui a prévalu à la création du Festival de Mode à Hyères, qui s’est depuis étendu à la photographie et aux accessoires.

Était-ce plus facile à créer ici en Provence ?
JPB : On ne m’aurait pas pris au sérieux à Paris. Ici j’étais l’enfant du pays et, même si on ne m’a pas forcément pris au sérieux tout de suite, il y avait un champ libre qui permettait d’expérimenter. La Provence était une terre vierge de culture et tout le monde avait envie qu’elle sorte de sa torpeur et ne se contente plus d’être simplement « le plus bel endroit du monde qui le restera jusqu’à la nuit des temps » ! Marier la culture et le tourisme sur ce territoire béni des Dieux a servi la cause de cette région. Plutôt indifférent au début, le regard des locaux a évolué en 40 ans et, depuis une dizaine d’années, la Villa Noailles est devenue incontournable. La création du réseau Plein Sud est venue accompagner les visiteurs de Menton à Montpellier. Avec ses différents lieux culturels : la Banque, le Musée du Niel, la villa Magdala, la Fondation Carmignac et la villa Noailles, Hyères est devenu un pôle d’attraction.

« On ne prétend pas avoir vu passer tout le monde, certains s’en sortent très bien sans nous, mais c’est une vraie rampe de lancement. »

Que peut-on dire de cette belle centenaire ?
JPB : La Villa Noailles est une utopie à replacer dans le contexte du début du XXè siècle. La sortie de la 1ère guerre mondiale est éminemment difficile et provoque l’envie de vivre des choses différentes, plus joyeuses. Le cadre architectural et artistique est atypique dans cette région de Hyères et du Lavandou. Le Corbusier réalise une maison au Pradet pour la mécène de cinéma suisse Hélène de Mandrot, le docteur Durville crée une île naturiste au levant et un projet de Bauhaus méditerranéen est envisagé en 1929 au Lavandou. Il ne fera pas à cause d’un terrible incendie. On est dans un environnement où tout est possible, et Charles et Marie Laure de Noailles commandent à l’architecte Robert Mallet Stevens « une petite maison intéressante à habiter » pour passer des hivers au soleil. Le projet de la Villa Noailles durera 10 ans, et deviendra un château cubiste de plus de 2000m2 avec piscine, squash, gymnase. Les plus grands designeurs la meubleront et des commandes de pièces spectaculaires seront passées à de jeunes artistes aujourd’hui majeurs, Giacometti, Henri Laurens, Jacques Lipschitz, Brancusi… Man Ray y tournera entièrement son chef d’œuvre surréaliste « Les Mystères du Château de Dé ».

Le 27 janvier 1970, au décès de Marie Laure
de Noailles, son mari et ses filles Laure et Nathalie, décideront de vendre la villa à la ville d’Hyères.
JPB : Et trente ans après son acquisition, une nouvelle vie publique lui sourira avec le centre d’art créé en 2003.Ma première rencontre avec ce lieu en juillet 89 a été suivie d’une longue période de préfiguration avant l’ouverture du centre d’art aux artistes, l’installation du festival de mode, puis la création du festival de design et les expos temporaires. Ce mélange de créativité et de grand public en fait un lieu très particulier.

Des grands noms ont émergé ici, quelles sont les conditions pour participer au festival ?
JPB : C’est assez simple et subjectif à la fois car c’est un concours. On ne prétend pas avoir vu passer tout le monde, certains s’en sortent très bien sans nous, mais c’est une vraie rampe de lancement. Peu de festivals dans le monde offrent aux lauréats de collaborer un an avec les Métiers d’Art de Chanel, le Mobilier National, la Manufacture Nationale de Sèvre ou le Centre de Recherche sur le Verre à Marseille. Ce qu’on a construit leur permet de vivre ce qu’ils auraient mis des années à découvrir. Il faut être motivé, avoir envie et le goût du travail, et surtout être très cultivé au sens le plus large possible, dans la mode en particulier, parce que tout ce qui fait la beauté de nos métiers est ce qu’on arrive à agglomérer de beauté apprise, découverte, rencontrée.

Vous commencez à dire qu’après la vie publique vous avez envie de penser à la vie privée, partir à la retraite, mais avant cela
avez-vous d’autres projets ?
JPB : Pour la première fois, je suis Commissaire d’une grande exposition d’un musée national, au Mucem. Nous sommes cinq pour raconter cette utopie du naturisme en France, notamment sur l’île du Levant (du 01/07 au 12/12), et d’autres collaborations arrivent dans la région. Je dois aussi travailler sur un documentaire et un livre pour les 40 ans du festival afin de graver tous ces souvenirs qui commencent à s’effacer de ma tête, et que le public puisse comprendre ce qu’il s’est passé ici. Ce sont de beaux instants que j’ai vécu avec une passion débordante.

La vie en trois mots
Marie Laure de Noailles : la grâce, le mérite et la liberté.
Jean Pierre Blanc : la passion, la générosité et la beauté.

Le festival 2024
Président du jury de mode Nicolas Di Felice, directeur artistique de Courrèges, Achilles Ion Gabriel directeur artistique de Camper
pour le jury Accessoires et la photographe espagnole Coco Capitàn du jury photographie, avec une programmation de concerts, de danses, d’expo…

Evènements à venir
2024
Expo de Marie Laure de Noailles peintre pour prolonger le centenaire
 Exposition de Jacques Rougerie, l’architecte qui veut nous faire vivre sous la mer
Concert en partenariat avec les Nuits de la Moutte le 31 juillet,
 Le temps des Festivals de Design et d’Architecture à Hyères et à Toulon et la 39è édition du festival de mode, de photographie et d’accessoire du 10 au 13 octobre.

2025
Trois anniversaires importants
Les 40 ans du festival
Les 100 ans de l’exposition des arts décoratifs de 1925
Les 50 ans du conservatoire du littoral

VILLA NOAILLES
villanoailles.com
47 Montée de Noailles, Hyères
La Villa Noailles