Conversation avec

KOUKA N’TADI

Par Nadège Moha

Le rendez- vous est pris, la rencontre a lieu dans l’atelier de Kouka NTadi. Son sourire ne le quitte presque jamais, il répond à toutes mes questions avec finesse, profondeur. Son message est universel, « Il faut revenir à ses propres racines, les vivre avec fierté et dignité. » Son travail artistique est percutant, tantôt éphémère et rare, tantôt permanent. Universalité, intemporalité, beauté. Attention …Les guerriers Bantou nous observent …

En quelques mots, Kouka NTadi, qui êtes-vous ?
Je suis un artiste peintre, métisse franco-congolais et comme beaucoup de métisses j’essaie de faire le pont entre les cultures. Pendant longtemps, j’ai eu la sensation d ‘être à cheval entre deux cultures, ma culture française et ma culture congolaise et je me suis rendu compte que finalement j’avais une 3eme culture qui était très présente. C’est la culture Hip hop issue de la culture américaine, qui m’a beaucoup nourrie ; je me suis beaucoup construit à travers le Rap et le graffiti. C’est une culture qui a grandi artistiquement et qui actuellement domine le monde. En tant que métisse, je me suis toujours senti comme un éternel déraciné, pour reprendre une expression de Aimé Césaire. Les voyages m’ont forgé et je me considère aujourd’hui plutôt comme un citoyen du monde.

Vous avez d’ailleurs enregistré un titre musical de rap qui s’intitule « l’enfant blâme. » pourquoi ce titre ?
Ce titre fait référence à la culture Hip Hop. J’étais un enfant très sensible, issu d’une famille d’artistes et malgré cette sensibilité, j’avais cette conscience d’être soi, j’ai grandi dans cette culture de l’égo. Exprimer ma singularité a donc été naturel pour moi et pourquoi l’enfant blâme ? Tout simplement parce que je recevais des blâmes à l’école car je n’étais pas très scolaire et plus tard c’est l’enfant qui en grandissant a mis lui-même des blâmes aux autres, afin de donner les règles du jeu, en imposant son style et sa singularité à travers le graffiti sans qu’on lui en donne l’autorisation.

Pourquoi le Street Art ? Est-ce ainsi que vous définissez votre art ?
Non, ce terme est un terme qui m’a longtemps dérangé, je viens de la culture du Graffiti, le terme Street Art est apparu plus tard en 2007 lorsque ce style d’art a été récupéré par le business et les marchands d’art, cela faisait déjà 10 ans que je peignais dans la rue, j’avais une longue pratique du graffiti. J’ai peint également en atelier, j’ai réconcilié la peinture académique dans la rue, avec le pinceau, Je vis en zone urbaine alors oui, je fais du Street Art car je peins dans la rue. J’habite depuis peu à la campagne, je peins tout autant dans la nature, dans les champs, sur les arbres.

C’est l’amour, c’est la beauté, c’est l’art bien sûr qui sauveront le monde !!!

Kouka Ntadi

Il y a-t-il dans votre vie des rencontres déterminantes qui ont influencé votre art ?
Beaucoup d’artistes ont influencé mon art … j’ai été nourri par une peinture, celle d ‘après-guerre, celle de mon grand-père le peintre expressionniste Francis Gruber qui était un ami des frères Giacometti. J’ai grandi dans sa maison qui lui servait d’atelier, il est mort très jeune, j’ai vécu entouré de ses oeuvres, donc bercé par la culture de la peinture académique, ma mère était dans le théâtre, mon père dans la musique africaine, la rumba, j’ai donc évolué sur un terreau artistique très riche.

Quels sont vos références en matière d’art contemporain ?
Yan Pei Ming est un artiste qui m’a beaucoup inspiré par sa gestuelle, sa peinture en noir et blanc, c’est un artiste qui sculpte sa peinture. Osman Sow m’a beaucoup inspiré aussi, quant aux artistes plus jeunes, je suis tout autant inspiré par des artistes comme JR, que le peintre Gerhard Richter. Tous les jours je découvre de nouveaux artistes. J’aime beaucoup toutes les cultures populaires, je suis très inspiré notamment par les musiciens de l’Afro beat et du Hip Hop.

Vous travaillez en musique ?
C’est drôle parce que pendant des années j’ai toujours travaillé en musique, j’ai joué du Rap pendant des années et depuis quelque temps, j’ai rencontré un artiste burkinabé Yacinthe Ouattara, que j’apprécie énormément. Il m’a beaucoup questionné sur ma façon de concevoir l’art. Il m’a dit que lui, ne travaillait jamais en musique car il avait besoin d’être relié totalement à ses oeuvres. Cela m’a d’abord étonné et finalement, le fait d’avoir déménagé mon atelier à la campagne, j’ai commencé à m’habituer à ce silence qui me dérangeait tant les premières années. Je me suis demandé pourquoi ce silence me gênait -il et pourquoi avais-je besoin de toute cette agitation ? Je me suis aperçu que le silence n’existe pas, le bruit de la nature, le bruit du vent, des oiseaux finalement me nourrissaient tout autant. Aujourd’hui, je travaille dans le silenc absolu, comme un moine, et j’ai une autre façon d’appréhender le temps, une autre approche de l’art, avec un contact avec la matière et les éléments qui m’entourent, là où avant, j’étais dans le seul soucis de la représentation de mon sujet.

Les personnages africains géants que vous peignez, les guerriers Bantou qui sont votre marque de fabrique nous
interpellent étrangement, quels messages nous délivrent-ils et que nous racontent- ils ? Et Pourquoi des guerriers Bantou ?
C’est une longue histoire, consécutive à un long voyage en Afrique francophone où j’ai pu constater que la notion d ‘espace public est totalement différente et j’ai été un peu choqué par l’omniprésence des instances culturelles et publicitaires occidentales. Le nom des rues est lié à l’histoire française et à l’histoire coloniale et les témoignages de l’histoire africaine à 99 pour cent y font référence. Aussi, il m’a semblé important de remettre cette identité au sein de l’espace public africain, dans des lieux symboliques, et de réinscrire les marques de l’histoire africaine. En effectuant mes recherches, cela m’a ramené à des images issues de toute l’imagerie ethnographique. Finalement,   j’ai décidé de me réapproprier cette imagerie ethnographique des premiers explorateurs qui ont photographié des tribus de face, de profil, et de recréer ma propre mythologie. Au lieu de peindre des esclaves, moi j’ai peint des guerriers qui se sont battus pour leur indépendance et pourquoi Bantou ? Parce que par étymologie, le mot Bantou est le pluriel du mot Mountu qui désigne l’être humain donc Bantou veut dire les êtres humains, toute l’humanité donc ! J’ai trouvé ce glissement de sens très intéressant ; Les Guerriers Bantou sont des guerriers de l’humanité ! Je les ai donc représentés de manière digne, forte, fière, en changeant l’échelle, en les représentant en très grand. Je les ai peints d’abord en Afrique, puis partout dans le monde, car ses descendants se sont dispersés à travers le monde. Ainsi, Ils reprennent en main leur dignité et leur fierté.

J’ai lu une très belle histoire au sujet d’un immeuble classé, désaffecté, sur lequel vous avez peint les fenêtres de ces guerriers bantous géants :
Oui ! A l’aide d’une grande nacelle, je les ai peints sur un immeuble immense, squatté, désaffecté de 8 étages et 4 en sous-sol, en plein centre de Paris, non loin de la place de la République. J’ai été un des premiers arrivants sur ce lieu. L’univers des squats est une société parallèle qui se recrée en marge de la société. Il m’a semblé très intéressant de faire le pont entre cette société et l’espace public. Cette armée de guerriers symbolisent les sauvages, ceux qu’on ne veut pas voir, ceux qui gardent cet immeuble et sont finalement les gardiens d’une culture et d’un patrimoine. Un jour, un promoteur a acheté cet immeuble pour y construire un hôtel de luxe. Nous avons été expulsés au bout de 6 mois. L’immeuble est resté fermé, muré, gardienné pendant 5 ans. Mais les peintures sont restées sur les fenêtres . Tous les riverains s’étaient habitués à vivre au quotidien avec ces oeuvres et le jour où le bâtiment a été racheté par le promoteur, les peintures de ces guerriers sur les fenêtres ont commencé à être effacées les unes après les autres. En soit, cela ne me dérangeait pas trop en tant  que graffeur, car pour moi, la vocation de cet art c’est justement d’être éphémère, c’est ce qui lui donne sa valeur, sa rareté son côté sacré. J’ai commencé à recevoir des mails, des messages des riverains qui me disaient : « ils sont en train d ‘effacer vos oeuvres ! Il faut faire quelque chose, faire une pétition !!! ». J’ai été très touché par cet engouement autour de mes oeuvres. A l’aide d’un architecte et de ma galeriste Nadège BUFFE, je suis venu voir le bailleur pour lui expliquer  qu’il était en train de détruire une oeuvre qui avait une histoire. Finalement, au bout de quelques mois, un deal m’a été a proposé, de mettre en vente dix de ces fenêtres, et de reverser une partie de la vente à des oeuvres caritatives. La vente aux enchères a eu lieu et 50 00 euros ont été collectés et reversés à des associations caritatives, j’ai pu récupérer l’ensemble de ces fenêtres et j’en ai fait don à une association au Maroc pour de jeunes artistes, à condition qu’elles puissent être exposées en Afrique. Ces guerriers sont donc retournés à leur terre d’origine en Afrique. Ce qui est assez drôle, c’est que la veille de l’inauguration de l’hôtel de luxe, Le directeur m’a demandé de repeindre quelques guerriers sur la façade de l’hôtel et j’ai également offert à l’Hôtel Renaissance, deux guerriers qui étaient déjà là à l’origine. Le guerrier Bantou n’est pas un guerrier ni un mercenaire mais avant tout un protecteur, c’est celui qui se bat contre lui-même, contre ses propres démons et qui est avant tout un gardien de ses valeurs, de sa famille, de sa tribu, c’est le message que j’essaie de délivrer à travers ma peinture.

Une petite question sur l’actualité, Qu’est ce qui peut encore sauver notre monde actuel de la violence de la guerre selon vous, est -ce la beauté qui pourra sauver ce monde ?
Oui C’est l’amour, c’est la beauté, c’est l’art bien sûr qui sauvera le monde !!! J’ai réalisé une fresque murale sur le campus de Nanterre et j’ai écrit en énorme une phrase : « C’est la beauté qui sauvera le monde, là où avait eu lieu les prémices de mai 68. !!! il était important pour moi de réinscrire cette phrase. Oui C’est la beauté qui sauvera le monde ! Il n’y a qu’en enseignant l’art, l’amour et la beauté qu’on peut sauver le monde, c’est un acte politique très engagé. Cela peut paraître très naïf de prôner l’amour et la beauté, mais ce n’est pas facile d’être dans la bienveillance.

Comment avez-vous rencontré Nadège BUFFE, votre actuelle galeriste ?
Je l’ai rencontrée à un vernissage d’un ami artiste qu’on avait en commun. En discutant avec elle elle a compris que c’était moi qui avais réalisé ces guerriers Bantou qui se trouvaient juste en face de chez elle. Elle les avait vu naitre jour après jour. Il n’y a pas de rencontre par hasard cela fait 11 ans que nous travaillons ensemble. C’est une personne très philanthrope. Elle a pris le temps de me comprendre et elle a toujours défendu mon travail.

Quel est votre lien avec la Provence ?
Je suis Parisien je suis donc né à Paris. Maman étant dans le théâtre, nous avions dû déménager dans le Sud, lorsque j’avais 14 ans, d’abord sur Toulouse puis sur Marseille. Cette ville fut un choc culturel pour un Parisien comme moi. C’est Marseille qui m’a sauvé. Marseille est la porte vers la Méditerranée, c’est une ville monde, qui accueille le monde, en décalage avec la France. Je suis très attaché à Marseille et à cette région du Sud.J’ai fait mes études à Marseille et mon école d’art à Avignon. Je viens régulièrement dans le Sud, la mère de mes enfants est née à Aix en Provence et mon actuelle galeriste est originaire d’Aix en Provence. J’ai toujours dit que je reviendrais vivre dans le sud, c’est une évidence.

Que signifie votre prénom Kouka ?
Il signifie : « Ecoute toi-même !»

Entretien avec Nadège Buffe

Galerie Taglialatella – Founder & Director
+33 6 82 12 24 80 – www.djtfa-paris.com

J’ai rencontré Kouka il y a bientôt 15 ans, un peu après l’ouverture de la galerie. L’expérience de ces quinze années a toujours conforté mon incapacité à dissocier un artiste de son OEuvre. Il m’est impossible de contempler un travail et d’occulter le fait que l’Oeuvre est le prolongement de son auteur. L’artiste y met ses croyances, son émotion et la nécessité d’exprimer une idée. Il y a certaines rencontres qui nous font douter de la cohérence entre une oeuvre qui nous émeut et la personne qui l’a réalisée. On peut être surpris, étonné et parfois déçu. Et puis il y a KouKa, dont la personnalité rayonne de cohérence par rapport à son travail. Contempler un tableau de Kouka c’est y voir les contours de son Être et la puissance de son humanité. Un style brut d’une spontanéité implacable mais subtilement maîtrisé avec réflexion et intelligence. Kouka est un idéaliste. Quand le monde devient trop sombre, il se plonge dans sa force créatrice pour générer la lumière qu’il diffuse dans ses tableaux. Kouka est en accord avec lui-même, il est ancré, fidèle à ses valeurs, à l’instar de ses guerriers, debout en position frontale ou de dos, qui nous guident d’un pas décidé à éclairer notre chemin. Kouka est à l’écoute, il est toujours chaleureusement disponible pour les retours de son public sur son travail, lorsqu’il peint dans la rue et qu’il s’attaque à des murs d’envergure qui vont le mobiliser pendant des heures, le contact avec le passant nourrit sa force pour affronter les éléments. Kouka est un humaniste, la générosité qu’il met à déployer ses peintures est le fruit de sa plus profonde conviction :

“nous venons tous de la même origine, chacun porte en lui cette universalité” et que ce soit par le guerrier protecteur ou par les arbres de ses forêts en mouvement,
il y a toujours cette nécessité de rappeler qu’il faut célébrer en permanence “ce qui est fragile et précieux à la fois” : la vie…