DOMAINES OTT

Le goût de la liberté

PAR FRANÇOISE SPIEKERMEIER

Château de Selle, Clos Mireille, Château Romassan… Trois terroirs, trois rosés, couleur privilégiée des Domaines Ott depuis près de 130 ans. Sur ces trois propriétés, acquises au fil des générations, Jean-François Ott, repreneur du flambeau familial, accomplit un travail d’orfèvre calé sur les aléas du climat. Pour créer dans la constance le vin à l’image de chaque terroir, il base son expertise sur l’observation : aller dans les vignes, chaque jour, être présent. Revenir aux fondamentaux de la viticulture, souvent négligés ou disparus. Trouver de nouvelles voies. Tel est le secret des sublimes vins rosés de la maison Ott.

Quelle est votre philosophie, celle que vous associez à votre métier de vigneron ?
Ma philosophie, c’est de respecter la nature et de l’accompagner pour qu’elle produise des raisins de grande qualité, qui ont du goût, notamment le goût du terroir dont ils sont issus. Il ne faut pas oublier que 90 % de la qualité d’un vin vient de la matière première. Pas de grands vins sans grands raisins. Trop souvent, la viticulture est standardisée pour faire pousser des raisins avec peu d’identité de goût, particulièrement pour l’élaboration de vin rosé. Les raisins pour produire des vins rosés doivent avoir certaines caractéristiques, différentes de ceux pour les blancs ou les rouges. Chez Domaines Ott, nous avons trois rosés de trois terroirs différents, c’est la même façon de faire, adaptée au terroir.

Vous semblez donc remettre en question les bases de la viticulture contemporaine…
Sur le végétal, nous sommes obligés de déployer des trésors d’inventivité pour assurer l’avenir de nos vignobles et donc de nos vins. Chez Domaines Ott, nos préoccupations principales se concentrent sur la viticulture, pour élever une vigne forte. Pour cela, il nous faut réapprendre des savoirs oubliés. On redécouvre la greffe, le travail sur les jachères actives, la sélection massale ou la taille douce. Depuis 6 ou 7 ans, nous sommes presque repartis de zéro sur certains sujets. Et nous voulons toujours aller plus loin, au service de la qualité.

Pour quelles raisons réapprenez-vous ces bases ?
Je cherche la diversité dans mon vignoble pour avoir le choix. C’est certes un luxe car cela nécessite du temps et de l’argent, mais cela reste fondamental pour l’élaboration de grands vins, millésime après millésime. Tout est différent d’une année sur l’autre : le climat, les températures, le régime des pluies, le gel. Donc à la fin, les raisins sont différents. Pour être un peu technique, croire que l’on va avoir un clone de cépage qui marche pour tout, s’adaptera à tout, donnera de bons raisins sur toutes les parcelles, c’est illusoire si l’on a de l’ambition pour ces vins. La seule méthode pour couvrir l’ensemble des aléas qui peuvent survenir dans un vignoble, c’est d’assurer nous-même la diversité, de faire du sur-mesure. Pour faire face aux changements climatiques, il faut être robuste. Et pour être robuste, le vignoble doit être diversifié.

Par rapport à la mécanisation, les vendangeuses, c’est efficace ?
J’adorerais avoir des machines à vendanger. Mais elles secouent le pied entier, des grains tombent, les rafles restent sur la plante, tout le système racinaire superficiel est ébranlé. Vous avez compris que c’est incompatible avec la recherche d’excellence qui est la nôtre. Au sein des Domaines Ott, nous vendangeons la journée, et c’est de la vendange entière. Je veux garder cette rafle, cette matière végétale qui garantit l’intégrité de la grappe jusqu’au pressurage. Pour cela, j’emploie 220 vendangeurs sur les trois domaines chaque année.

Chez Domaines Ott, nos préoccupations principales se concentrent sur la viticulture, pour élever une vigne forte.

Jean François Ott

Vous n’êtes donc pas dans la course au rendement ?
La vigne est généreuse : vous plantez, en deux-trois ans vous avez les premières récoltes. À partir de vingt ans, la production baisse : vous arrachez et replantez l’année d’après. Ce n’est pas ma philosophie. Certes, la production a tendance à baisser un peu en volume au bout de 25-30 ans, mais si vous avez bien planté au départ, les racines sont tellement profondes que la qualité du raisin est meilleure. Ça donne des vins beaucoup plus profonds, plus denses, plus agréables. Ça vaut le coup de limiter les rendements et de conserver les vignes au-delà de vingt ans. Si dans le verre, sur 100 000 clients, 1000 perçoivent la différence, ça me va.

Le consommateur a-t-il conscience de tout ce qui se joue au vignoble, avec de grandes différences d’un vigneron à l’autre ?
Certains oui, ceux que l’on appelle les amateurs. Mais j’invite l’ensemble des consommateurs à se renseigner sur la viticulture, même si je reconnais qu’ils ont besoin de repères, comme le label bio. J’ai pensé pendant des années que je n’avais pas besoin d’un label car nos méthodes de viticulture et de vinification allaient et vont toujours bien au-delà du cahier des charges de la bio. Et puis j’ai abdiqué. Aujourd’hui, nous sommes labellisés et au caveau, dès qu’on dit que le vin est bio, le client ne pose plus de questions, ça le rassure. C’est très bien comme ça et cela nous permet justement de parler de tout ce que nous faisons en plus.

Pour revenir au vin rosé, la couleur d’un rosé, est-ce important pour vous ?
Je ne regarde jamais. Parfois je me dis « ces vins sont trop clairs » mais je ne change rien si le goût est au rendez-vous. C’est toujours le goût qui nous guide, pas la couleur.

Et que pensez-vous des rosés de garde ?
Que du bien ! Si le vin est bien fait, il aura cette capacité à bien évoluer dans le temps, qu’il soit rouge, blanc ou rosé. Personnellement, j’aime bien nos vins rosés quand ils ont 2-3 ans de bouteille. C’est là où l’on atteint le soyeux, sur le fruit, mais toujours un peu vif. Ensuite, passé 7-8 ans, il perd ce côté vibrant mais s’affirme différemment en fonction du millésime notamment.

Comment s’est faite la rencontre avec le groupe Roederer ?
L’entreprise a pris une participation chez Domaines Ott en 2004 pour de simples histoires de succession
d’une génération à l’autre. Aujourd’hui les champagnes Louis Roederer se chargent de la distribution Cela me permet de me concentrer sur la viticulture, la vinification. C’est un luxe. Les Domaines Ott bénéficient d’une certaine notoriété mais il y a le revers de la médaille : nous sommes perçus comme une énorme machine alors que dans l’univers du vin en Provence, nous sommes plutôt petits en production de bouteilles, là où nos concurrents directs en termes d’image en produisent des millions.

Vous avez un rêve ? Parce que finalement, c’est un peu un rêve éveillé que vous vivez ?
J’ai surtout envie que la Provence soit reconnue, à l’image d’autres appellations, comme une terre propice à la production de grands vins. Je pense que, particulièrement avec les changements climatiques qui s’opèrent, elle est une région viticole de premier plan, le bon endroit pour faire du vin. La responsabilité n’est pas que sur les crus classés. Elle est sur l’ensemble des vignerons. J’aimerais aussi que sa couleur ne soit plus un frein pour qu’un vin « rosé » soit reconnu comme un grand vin. J’entends souvent parler d’un grand blanc, d’un grand rouge, et presque toujours d’un « petit rosé ». Cela n’a pas de sens. C’est aussi pour ça que je mets beaucoup d’énergie dans les blancs et les rouges : beaucoup d’amateurs viennent sur les domaines pour les blancs et les rouges. J’espère qu’à un moment, ils prendront conscience de la diversité qu’offrent les vins rosés.

Récompenses

En 2002, les Domaines Ott ont été élus « VignobleEuropéen de l’année 2022 » par le magazine de vin américain Wine Enthusiast, une récompense décernée pour la première fois à une maison qui produit majoritairement des vins rosés. Un hommage rendu au travail de la famille Ott et au groupe Roederer sur les trois propriétés qui composent les Domaines. La clef du succès ? 600 heures de travail à l’hectare, le savoir artisanal de l’homme, l’amour de la terre, combinés à une technique digne de la haute-couture, saupoudrée de passion.