Laurence Hugou, pour l’amour du vin…
et de la Provence.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-CECILE AUDRA
Laurence Hugou est ingénieur agronome et oenologue, directrice du Groupe ICV* Provence et Vallée du Rhône. Avec ses équipes elle accompagne les vignerons dans toutes les étapes de l’élaboration de leurs vins : du conseil viticole au conseil oenologique, des analyses du raisin à l’expertise sur le conditionnement des vins, la qualité et le développement durable des entreprises de la filière. Elle nous partage sa vision du métier, des vins et de la Provence.
Anne-Cécile Audra : Comment décririez-vous le métier d’oenologue aujourd’hui ?
Laurence Hugou : J’ai exercé en tant qu’oenologue en 1997, ça commence à remonter maintenant. Depuis j’encadre et manage des équipes d’ingénieurs agronomes et d’oenologues-conseils (une vingtaine) et 3 laboratoires, avec la nécessité absolue de se remettre en permanence en question. Se former, échanger entre pairs, s’ouvrir aux pratiques d’autres vignobles, en France et à l’étranger. Il y a eu ces dernières années une évolution du métier d’oenologue conseil. C’est de plus en plus un métier d’expertise et de précision. Un oenologue isolé s’appauvrit rapidement sans une équipe et le retour d’expériences des vignerons. Il faut se constituer en réseau, absolument !
OENOLOGIE : ENTRE ART ET EXPERTISE
Anne-Cécile Audra : La France est la patrie de Pasteur, père de l’oenologie moderne. Ya-t-il une spécificité française ?
Laurence Hugou : Bien sûr, il y a un prestige attaché au diplôme d’oenologie en France (DNO : Diplôme National d’Oenologie). Une réputation qui n’est plus à faire. Mais je crois qu’il faut là aussi se réinventer. S’ouvrir aux pratiques du monde entier. Les plus jeunes vont explorer l’Australie, La Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, c’est formidable, mais il ne faut pas s’inspirer que d’une viticulture et/ou oenologie « standardisée ». Aller explorer oui, mais pour moi cela se poursuit par la connaissance de notre immense richesse dans les vignobles de France.
EXPLORER ? OUI, MAIS LES VIGNOBLES DE FRANCE AUSSI
Anne-Cécile Audra : Et la place des femmes dans cette profession ? Leur approche est-elle différente ? Singulière ?
Laurence Hugou : Je ne suis pas de ceux/celles qui pensent que les femmes sont différentes sur ce point. Pour moi, il n’y pas de vision féminine de l’oenologie et du vin. Nous avons tous une sensibilité sensorielle différente et donc subjective, homme ou femme. Mais quand il y a la rigueur et la précision, je ne vois aucun accueil défavorable chez les vignerons. L’oenologie est un univers technique qui demande avant tout de la compétence et une argumentation pointue. Le reste c’est pour moi de la littérature ! J’ai autant de femmes que d’hommes dans mes équipes. Je ne veux pas en faire un débat sur la forme, pour me concentrer sur le fond. Et je sais que cette vision est partagée par d’autres femmes oenologues. Ce qui compte, c’est le pragmatisme sur le terrain. Quand cela est présent, vous êtes tout autant écoutées. Nous avons tous une sensibilité sensorielle subjective
NOUS AVONS TOUS UNE SENSIBILITÉ SENSORIELLE SUBJECTIVE
Anne-Cécile Audra : Comment voyez-vous évoluer les rosés de Provence ces prochaines années ?
Laurence Hugou : Il faut écouter les consommateurs, s’inspirer du marché. La crise sanitaire a décalé le moment de consommation de nos vins, et le rosé n’aime pas être stocké trop longtemps, il perd de sa fraîcheur aromatique et gustative. Nous travaillons chaque année sur un panel de vins dégustés au même moment par un jury de consommateurs et un jury de professionnels, pour être toujours en veille sur les attentes des consommateurs. Cette année, nous allons présenter des vins du millésime 2019, et faire des comparaisons sensorielles entre les vins dont le stock est subi et ceux qui ont été pensés dès le début pour être des vins de garde. Il y aura, nous le pensons, des enseignements à tirer, qui donneront des idées à certains pour l’avenir.
Anne-Cécile Audra : Quels sont les enjeux majeurs des décennies à venir pour le monde viticole ?
Laurence Hugou : Le gel que nous venons de connaître, et d’autres contraintes climatiques comme la sécheresse, deviennent des sujets centraux. Il n’y a pas de solution miracle, en tout temps et en tout lieu. Nous devons avancer sur une palette de techniques, pour à la fois nous adapter mais aussi anticiper. Le travail sur le matériel végétal, la recherche sur les cépages résistants, la question de l’irrigation et de nouvelles pratiques culturales sont des voies à approfondir. Nous avons pour cela des capacités de recherche importantes, notamment dans le Sud-Est. L’expérimentation et l’innovation sont centrales. Nous investissons chaque année au sein du Groupe ICV de 4 à 5% de notre chiffre d’affaire en R&D. En œnologie nous atteignons un plafond de verre, les investissements matériels doivent se poursuivre, mais il faut investir du temps et de l’argent dans la viticulture, pour durer. L’agronomie a donc toute sa place. A côté des œnologues nous recrutons des ingénieur(e)s conseils en viticulture.
Laurence Hugou
directrice du Groupe ICV* Provence
et Vallée du Rhône
Groupe ICV* Provence *Institut
Coopératif du Vin
86 chemin du Plan – 83170 BRIGNOLES
Tél. : 04 94 37 01 90
www.icv.fr
UN SENTIMENT DE SÉRÉNITÉ M’ENVAHIT, QUAND JE COURS DANS LES VIGNES
Anne-Cécile Audra : Qu’évoque pour vous la Provence ?
Laurence Hugou : Je ne suis pas de nature mélancolique. Je fais beaucoup de course à pied. En été, très tôt au lever du soleil, il y a une lumière magique qui dégage un sentiment de sérénité.
Anne-Cécile Audra : Un souvenir en particulier ?
Laurence Hugou : Je suis née à Brignoles, mes grands-parents étaient viticulteurs en cave coopérative. Je passais du temps dans les vignes pour la taille, l’ébourgeonnage et les vendanges. Elles étaient manuelles à l’époque. Mon frère a repris depuis les vignes familiales, à Brue-Auriac. C’est certainement ce qui m’a donné le goût du vin et de son univers.
NOUS PEINONS À RECRUTER DES TALENTS
Anne-Cécile Audra : Un rêve pour votre profession d’oenologue ?
Laurence Hugou : Nous rencontrons des difficultés à attirer des talents en Provence, malgré les atouts de la région pour y vivre. Les vins rosés sont perçus encore par beaucoup d’oenologues comme des vins manquant de prestige, ils ont peur de s’enfermer dans une seule pratique, un seul vignoble. Or ces vins sont éminemment complexes et technologiques à concevoir, de la vigne au conditionnement. Cette problématique du recrutement pose problème et dans l’avenir, c’est aussi un enjeu très fort. Alors je souhaite que le vignoble de Provence, devienne demain un territoire plus attractif pour nos jeunes. J’espère aussi qu’ils partiront sur les routes et les vignobles de France, un peu comme les Compagnons du Devoir pour l’artisanat, pour se former, échanger et s’enrichir avant de venir s’installer chez nous, en Provence.