Shona Nunan et Michael Francis Cartwright

L’Art, la liberté et la joie en héritage

PAR NADÈGE MOHA

Il est des rencontres qui échappent aux lois du hasard, elles relèvent d’une reconnaissance d’âme à âme et la rencontre de Shona Nunan et Michael Francis Cartwright est de cette lignée. Originaires d’Australie, ce couple de sculpteurs célébrés et reconnus dans le monde des collectionneurs occupe une place importante sur la scène de l’Art contemporain.

Ils forment un couple profondément uni par l’amour et le respect, un couple d’artistes mutuellement inspirés. Dans leur parcours de vie, la célébration de la beauté et de la joie, l’initiation et l’éveil sont au rendez-vous avec la conscience profonde que l’existence est fugace mais précieuse et l’univers infini, permanent. Chez eux, l’art se transmet depuis trois générations d’artistes, comme un héritage silencieux, une filiation d‘artistes non seulement de sang mais d’esprit.

Leurs deux garçons, Jacob et Sollai sont artistes sculpteurs, musiciens confirmés et accomplis. C’est à l’Ecole des Beaux-Arts, que Shona et Michael Francis se rencontrent et tombent irrémédiablement amoureux l’un de l’autre. Epris de liberté avec une urgence de vivre, ils s’élancent ensemble sur les routes du monde, Irlande, Chine, Italie avant de se poser en France. Ils exposent en Australie, en Allemagne, en Irlande, à Hong Kong, en Toscane, à Singapour, en Thaïlande, en Chine, à la Citadelle de Saint Tropez et à Correns.

Ils se passionent pour la Toscane puis trouvent leur ancrage à Correns, dans le coeur vibrant de la Provence Verte où ils ont posé leurs ciseaux de sculpteurs et leurs bagages. Dans leur bel atelier baigné de lumière, situé au cœur du village, où ils travaillent dans le silence dans l’écoute et la lenteur, ils trouvent enfin leur respiration. « Et même s’ils n’ont jamais réussi à se mettre d’accord, leurs coeurs sont heureux en Toscane et sont heureux en Provence ». Leur parcours est traversé de voyages initiatiques, inspirants, bouleversants et déterminants. Ils marqueront pour toujours l’oeuvre de Shona et Michael Francis et nourriront leur psyché par l’expression du symbolisme et l’explosion des couleurs. En 1997, un séjour en Irlande dans une résidence d’artistes, surplombant les falaises déchiquetées et tumultueuse de la Mer Atlantique, devient un point d’inflexions pour Michael Francis qui vit une plongée intérieure fulgurante. Cette période n’a pas seulement changé le message de son travail, elle lui a donné un nouveau langage. » J’ai fait une lente et douloureuse descente des rochers jusqu’au bord des falaises. Chaque pas était comme une descente vers quelque chose de plus profond en moi. Debout seul au bord de l’Atlantique, tout à fait vulnérable, j’ai ressenti le besoin viscéral de me jeter sous la mer – non pas par désespoir, mais comme une sorte d’abandon total. De cette cruauté est née une explosion d’énergie – j’ai commencé à peindre des paysages marins remplis de lumière, de mouvement et de sauvagerie. C’était comme si la mer m’avait traversé et laissé derrière elle son esprit – indompté, immense et vivant. Shona, quant à elle fera sa première initiation avec l’Art Primitif à travers une expédition dans l’Outback australien avec sa famille, durant toute une année. La découverte des grottes peintes d’entités sacrées et la vie au côté des peuples indigènes modifieront irrémédiablement l’âme et l’oeuvre de Shona Nunan. « J’essaie toujours d’atteindre cet endroit : où l’esprit devient forme, où l’art devient un passage. » C’est dans leur atelier de Correns que leurs oeuvres prennent vie et dans les fonderies de Toscane qu’elles prennent forme. Leurs oeuvres sont empreintes de cette double initiation intérieure et transgénérationnelle.

The Earth Guardian Shona Nunan.
La Citadelle à Saint-Tropez

Elles nous invitent à élargir le regard, à voir l’art non plus comme un objet mais comme une voie philosophique et spirituelle, un rituel silencieux qui nous interroge sur la nature de la vie, du sacré, de l’univers. Michael sculpte la liberté, le cosmos, l’impermanence. Des titres comme Celui qui s’aimait, Se promener à travers l’univers, Nuage sur la colline, Le Cadeau, sont autant de portes ouvertes sur l’intime et l’infini. Shona, elle, incarne la Terre, la mémoire des civilisations anciennes, la femme-matrice, protectrice de la maison et des enfants. Elle fait surgir les archétypes dans une danse universelle : Les Gardiens, La Sentinelle, La Déesse de la Terre, La Joie. Leurs sculptures de bronze de marbre ou de bois précieux sont monumentales, Silencieuses, elles se font échos, dialoguent entre elles, sans jamais s’imposer dans le lieu où elles se trouvent. Pour celui qui sait percevoir les connexions subtiles au-delà de la forme et de la beauté, l’Art de Shona et Michael Francis est une invitation à se relier au plus profond de soi pour transcender la fugacité de l’existence. Cet été, leurs oeuvres trouveront un écrin à leur mesure : les jardins du Château Bénat à Bormes les Mimosas. Un lieu rare, secret, réhabilité par des mécènes au grand coeur ; Là, face à la mer, dans la beauté méditerranéenne, les sculptures de Shona et Michael Francis entreront en vibration avec la nature, le vent, les étoiles… et avec chacun de nous. Car l’Art qu’ils incarnent n’est pas là pour plaire, il est là pour éveiller.

« Shona et Michael ne sont pas seulement des artistes : ils sont des êtres initiés, porteurs d’une mémoire ancienne et d’un savoir intérieur transmis à travers les générations »

Moon Dance – Michael Francis Cartwright

Entretien

PAR NADÈGE MOHA

The Guardians – Shona Nunan

*Shona, comment s’est passée ta première expérience en peinture et sculpture ?
Mon premier souvenir remonte à mes trois ans, assise sous le chevalet de mon père pendant qu’il peignait. Je savais que j’étais artiste, et lorsqu’il quittait la pièce, je peignais par-dessus ses tableaux. Vers l’âge de 14 ans, je me suis diversifiée en découvrant le modelage de l’argile, qui a touché mon coeur, et c’est à ce moment-là que j’ai su que j’étais sculptrice.

Et toi, Michael Francis ? Comment as-tu fait tes premiers pas dans l’art ?
J’ai su que j’étais artiste au moment où mon père a réalisé qu’il l’était lui-même – j’avais environ six ou sept ans. C’était comme si quelque chose s’éveillait en nous deux au même moment. Puis, à treize ans, je suis tombé malade Je m’ennuyais terriblement, alors mon père m’a installé dans son atelier, m’a tendu un pinceau et m’a demandé de peindre. Il m’a donné quelques leçons, et j’ai commencé par copier un tableau de Utrillo. Mais lorsque j’ai découvert les Fauves – la couleur m’a frappé comme la foudre. Cette excitation ne m’a jamais quitté ; elle résonne encore dans mon travail aujourd’hui. J’ai découvert la sculpture quelques années plus tard, puis j’ai rencontré Stewart Ross, qui avait travaillé comme assistant de Henry Moore. Il m’a initié à la sculpture et au modelage, et cela m’a ouvert un tout nouveau monde. Quand j’ai rencontré Shona, Stewart a insisté pour que nous allions à Carrare – notre fils Jacob n’avait que deux ans à l’époque. Là-bas, entourés de marbre et d’histoire, nous nous sommes fait une déclaration silencieuse mais puissante : nous sommes artistes !

Peut-on dire que la découverte des grottes de l’Outback australien a été pour toi, Shona, un voyage initiatique décisif dans ton parcours artistique ? Raconte-nous tes émotions et réflexions.
L’Outback australien m’a profondément bouleversée. Mon souvenir le plus marquant avec mon père est une longue marche dans le bush, nous sommes tombés sur une grotte près d’un billabong. Mon père, sensible aux esprits du peuple aborigène, a jeté une pierre dans l’eau pour prévenir les esprits que nous étions arrivés en amis. À l’entrée de la grotte, d’impressionnants gardiens spirituels, bras croisés et mains tendues, peints sur la surface rocheuse, nous avertissaient de ne pas entrer dans cet espace sacré, peint de figures et d’animaux L’espace ressemblait à une manifestation sacrée de rêves, Lorsque nous avons quitté la grotte, mon père a jeté une autre pierre pour informer les esprits que nous partions. Cette expérience imprègne désormais chacune de mes sculptures.

Quels sont vos maîtres en sculpture et peinture, Shona ?
Dans l’art contemporain, Picasso me rappelle toujours de viser la grandeur — J’admire son audace et sa folie. J’apprécie également Marino Marini, surtout ses cavaliers et chevaux. Spirituellement, je suis profondément connectée à l’art ancien. Je puise dans les sculptures des Cyclades leurs formes essentielles, intactes par la connaissance figurative et leur présence sacrée intemporelle. Elles me guident, elles me rappellent que la sculpture est une forme d’écoute de la terre, de la mémoire, de l’esprit.

Et toi Michael Francis, Quels sont tes maîtres en sculpture et en peinture ?
En sculpture, j’ai toujours été attiré par des artistes qui vont au-delà de la surface – Brâncuși, pour son perfectionnisme et sa pureté, chaque ligne distillée en une essence. Giacometti, dont les figures fragiles et en quête semblent suspendues entre l’esprit et la matière et Jean Arp, qui a donné forme à l’intuition – son acceptation du hasard, m’a donné la permission de la spontanéité. Miró m’a apporté une liberté sauvage et un jeu, la sensation que l’art pouvait danser, être joyeux, absurde et magique en même temps. Et puis il y a l’art dit «primitif» – cette énergie brute et innée, une force silencieuse qui me guide, une puissance qui vibre encore.

En peinture, tout a commencé avec les Fauves, Matisse m’a touché à l’âge treize ans et il ne m’a jamais lâché. Picasso aussi par la manière dont il vivait l’art, toujours en quête, toujours en évolution…. C’est ce genre d’engagement que je partage. Et bien sûr, Stewart Ross qui a travaillé avec Henry Moore et m’a introduit à la sculpture non seulement comme technique, mais comme cheminement.

Que ressens-tu Shona lorsque l’une de tes oeuvres se trouve dans la collection d’un amateur d’art ?
J’aime vendre mes oeuvres. J’ai l’impression qu’elles rentrent chez elles. Cependant, lorsque je les garde trop longtemps dans ma propre collection, je ne veux plus m’en séparer. Je les aime tellement. Il m’arrive aussi de visiter une vieille oeuvre chez un collectionneur et de voir qu’elle a ouvert la voie à toutes celles qui ont suivi. Cela est très gratifiant.

Et toi Michael Francis que ressens tu lorsque tu te sépares d’une oeuvre ?
C’est toujours doux-amer. Une sculpture devient une sorte de compagnon pendant sa création – elle retient notre attention, notre souffle, nos pensées. Alors la laisser partir revient à dire adieu à quelque chose qui a vécu en nous. Mais quand je vois une de mes pièces chez un collectionneur, surtout lorsqu’elle est vraiment «vécue» – placée avec soin, aimée, cela signifie qu’elle continue son voyage et parle peut-être à d’autres, elle continue de vivre.

** Shona, quels sont les voyages les plus fous que tu as vécus et qui t’ont laissé des sensations et des émotions inoubliables ?
La plus inoubliable pour moi remonte à mon enfance, lorsque j’ai été arrachée à une vie médiocre dans les banlieues de Melbourne pour suivre le rêve de mon père de devenir artiste à plein temps. J’avais 10 ans, et mon père a quitté l’enseignement pour emmener sa famille voyager dans le désert, peindre et chercher la liberté. Nous avons traversé l’outback, faisant nos études à distance, assis à des bureaux de fortune, avec le vent et le froid sous l’oeil vigilant et féroce de ma mère, les dingos hurlant dans la lumière du feu la nuit, Nous vivions près d’une communauté aborigène locale, attrapant du poisson ensemble, partageant des barbecues, des corroborées. Cette année de séjour m’a libérée de l’ordinaire, éveillant en moi le désir de l’art, de la nature, de l’aventure libre et de l’authenticité envers mes aspirations profondes. Ce fut une année sauvage où mon père est devenu méconnaissable en réalisant ses ambitions, ce qui est aussi devenu mon histoire intérieure.

Et toi Michael Francis, quels ont été tes voyages les plus fous qui t’ont laissé des sensations et des émotions inoubliables ?
La Papouasie-Nouvelle-Guinée a été sans aucun doute l’expérience la plus intense et inoubliable. Shona et moi enseignions à l’école des beaux-arts de Port Moresby, où nous vivions avec nos deux jeunes fils. C’était incroyablement dangereux. Il y avait une grève étudiante rejointe par l’armée et la police, des conducteurs attaqués, des voitures incendiées. C’était une vie à la limite – imprévisible, volatile, profondément humaine. Et pourtant, le week-end, nous nous évadions. Nous naviguions sur le yacht d’un ami, flottant dans le calme de la mer. Ce contraste saisissant – entre le chaos à terre et la paix sur l’eau – était inoubliable. Il y avait de l’amour et de la violence, de la sagesse et de l’ignorance, souvent côte à côte. Cette expérience a nourri mon travail. J’ai commencé ma série de pêcheurs, représentant des pêcheurs en canoës, équilibrés sur le récif, là où le lagon calme rencontre la mer déchaînée. C’est devenu une métaphore de la vie à la limite – pas seulement géographiquement, mais spirituellement et émotionnellement. En ce moment, je coule un grand portrait de pêcheur – une sculpture monumentale en bronze de plus de 220 cm de haut. Ce n’est pas seulement un hommage à ces formes premières, mais une réflexion sur notre monde actuel, l’avidité et de la relation fragile que nous entretenons avec le monde naturel.

Si tu avais un message précieux et important à laisser aux générations futures, quel serait-il Shona ?
Je leur dirai : « Soyez fidèle à vous-même, avancez avec courage même si vous avez peur, et souvenez-vous : seuls les poissons morts vont avec le courant. »


Et toi Michael Francis, Si tu avais un message précieux et important à laisser aux générations futures, que serait-il ?
« Dans le silence, tout parle. Soyez assez curieux pour l’entendre. Soyez courageux.

« Shona et Michael Francis, vous allez exposer certaines de vos sculptures dans le très secret Château du Gaou Bénat à Bormes-les-Mimosas cet été, du 19 juin au 31 août – pouvez-vous nous donner un avant-goût ?
C’est un endroit magnifique, caché – comme un secret gardé entre les arbres et la mer. Il y a quelque chose de discrètement magique à Gaou Bénat. Cela ressemble à un lieu hors du temps, ce qui en fait un cadre parfait pour la sculpture. Je prendrai ma décision finale sur les oeuvres une fois sur place, lors de l’installation – j’aime répondre à l’espace, à la lumière, à l’atmosphère. Une sculpture doit sembler appartenir à son environnement. Certaines des œuvres qui pourraient figurer dans l’exposition incluent *Walking Through the Universe*, *Joy or Little Bird*, et la nouvelle sculpture monumentale en bronze, *Portrait of a Fisherman*. Mais au final, ce sera une question de relation entre les oeuvres et le paysage – comment s’inscrivent-elles dans l’espace, comment reflètent-elles le calme, le mouvement, et le mystère du lieu lui-même. J’espère que les visiteurs auront l’impression de s’aventurer dans une histoire silencieuse et vivante.

Nous vous invitons à découvrir les sculptures
de Shona Nunan & Michael Francis Cartwright
du 19 juin au 31 août 2025 Vernissage le 20 juin 2025

Sur réservation uniquement car le lieu est privé et les places seront limitées
Par téléphone au 06 10 82 13 84
Par email : editionshemisphere@gmail.com