Le rosé
Par Anne Cécile Audra
Tantôt boudés par ceux qui ne jurent que par les grands rouges, tantôt plébiscités par les consommateurs aux quatre coins de la planète, quels secrets bien gardés cachent ces rosés complexes, aromatiques et si attrayants sur un repas convivial, aux premières heures du soir comme sur les pistes enneigées. Une épopée millénaire, un savoir-faire ancestral pour une référence devenue mondiale.
Au début il y avait des épices
Vin des origines, il est attesté en Anatolie (Turquie actuelle) vers – 8000 ans et en Egypte ancienne (-4 à 3 000 ans) où des traces archéologiques permettent de l’authentifier. A l’époque vinifiés et conservés dans des poteries, les vins sont peu macérés avant fermentation, pour obtenir des couleurs claires et agrémentés d’épices et de miel. Certainement pour corriger l’acidité et plaire aux palais de l’époque. Petit à petit, de l’Egypte ancienne à l’Antiquité, ce vin a traversé les temps et s’est enraciné en Méditerranée, grâce à la création de Marseille par les Phocéens et l’invasion romaine de la Gaule, qui permettent l’exportation du vin et ses vignobles en « provincia romana » (l’actuelle Provence). L’avènement du Christianisme et le travail méticuleux des moines, des templiers et des paysans de chaque époque poursuivra sa transmission et son amélioration au fil des siècles. Pour rester un vin intemporel, consommé sur nos tables contemporaines. Cette épopée de l’ère moderne à nos jours, raconte plus de 2600 ans d’Histoire du vin rosé, entre sélection variétale des cépages, observation minutieuse de l’influence des sols et du climat, pratiques de vinification, pour passer d’une connaissance empirique à la maitrise technique des vignerons d’aujourd’hui.
Puis aujourd’hui du froid
Et c’est cette couleur si caractéristique qui aimante les amateurs de ce vin, si particulier. A la fois charmant et séduisant, un brin féminin diront certains, il est d’une profondeur aromatique plus complexe qu’il n’y parait. Même si sa couleur est de moins en moins prononcée, il n’en demeure pas moins un vin chargé d’arômes, au nez comme en bouche, pour des découvertes surprenantes et captivantes. C’est ce défi de la couleur et de la densité aromatique qui fait dire aujourd’hui aux amateurs, œnologues et spécialistes du vin, qu’il faut une sacrée maitrise du processus de fabrication pour arriver à extraire toute la saveur sans tomber dans une couleur criarde et tirant trop sur le rose framboise ou groseille. Le secret, c’est la maitrise du froid. Et dans un vignoble méridional, accablé de chaleur au cœur de l’été, il faut observer, observer, observer, pour définir la maturité optimale qui donnera la date de vendange idéale, selon les cépages, pour concentrer les arômes, tout en distillant les pigments avec parcimonie. A faible température, les peaux et les jus se mêlent, juste un peu, pour une extraction de haute voltige, avant de passer au stade de la fermentation, en cuve inox, réfrigérées elles aussi. Un procédé à froid donc, et des vendanges décalées la nuit depuis quelques années, pour assurer une récolte « à la fraiche ».
La troisième couleur
Elle est comme une nouvelle fantaisie apparue, (où plutôt réapparue, étant donnée son histoire) entre grands rouges et grands blancs. Au début négligée, voire critiquée et même dévalorisée en considérant qu’il s’agissait d’un simple mélange !!!, les vins rosés et les vignerons qui les élaborent se sont taillés depuis la part du lion. En améliorant sans cesse les techniques de vinification pour sortir des rosés trop criards ou tirant sur le rouge. Pour donner à cette troisième couleur toute sa puissance, à la fois moderne et intemporelle, conviviale et gastronomique, accessible et pourtant si pointue.
à faible température, les peaux et les jus se mêlent, juste un peu, pour une extraction de haute voltige
Une couleur, comme un drapeau et de belles années en perspective. Just rosé !
40 ans de structuration
La filière investit sur tous les fronts pour passer maitre dans l’art du rosé, sans égal nulle part ailleurs sur la planète. Quelques visionnaires ont su à cette époque miser sur cette couleur, se démarquer et persévérer. Rechercher la qualité, l’exigence, pour en faire une signature, devenue iconique. Les vignerons se sont rassemblés derrière ces pionniers et sont aujourd’hui représentés par leur syndicat d’appellation (Côtes de Provence, Coteaux d’Aix et Coteaux Varois). Ils s’unissent pour développer leur image de marque dans le cadre du Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence, qui signe tout autour du monde, la référence mondiale du rosé. Centre de recherche dédié et unique au monde (fondé en 1999), observatoire économique mondial (créé en 2002), services mutualisés pour la promotion et l’export… Forts de ces années de qualification et de structuration, les Vins de Provence, récoltent depuis 10 ans les fruits de leur labeur acharné.
La Provence, LA référence
La consommation mondiale de rosé est en constante augmentation (23,6 millions d’hectolitre en 2019, pour une augmentation de 23% depuis 2022 soit en 17 ans). Cette consommation est tirée par les pays européens (France et Allemagne en tête) ainsi que les Etats-Unis. Cocorico également pour la production, avec un trio de tête : France – Espagne – Etats-Unis, qui couvrent à peine la demande (23 millions d’hectolitres en 2019). La Provence tire son épingle du jeu en étant le premier vignoble de France et une référence inégalée en matière de qualité et typicité. D’ailleurs le prix moyen du rosé vendu dans le monde ne cesse d’augmenter (+ 29% depuis 2015). Et la France confirme son statut de producteur et exportateur de rosés premium avec un prix moyen supérieur au cours mondial (3,75 €/75 cl en 2019, contre 1,57 €/75 cl dans le monde). Cet engouement est tel que les perspectives sont très positives, en témoignent l’accueil des vins rosés dans des pays où il est encore peu consommé (donc à fort potentiel de développement) : Chine, Canada, Australie.
Poursuivre la course en tête
Et les vignerons provençaux ne comptent pas s’arrêter là. Avec la présentation de leur plan stratégique 2022-2024, ils veulent enfoncer le clou. En poursuivant la stratégie de montée en gamme collective, pour pérenniser leurs atouts, prendre les devants et devenir tous ensemble, les leaders inégalés de demain. Pour assumer et conserver ce positionnement, la profession ouvre et poursuit des chantiers majeurs : observation économique, recherche dédiée au rosé, reconnaissance ciblée auprès des chefs étoilés, sommeliers et grands noms de la gastronomie, structuration et valorisation de l’offre oenotouristique, transition agroécologique et intelligence collective.
Crédit photo : Patrick Maury