Château de Sannes, la suite de la saga s’écrit aujourd’hui avec Pierre Gattaz

Par Isabelle Dert Bono

« Se battre tous les jours, sourire souvent, rêver toujours »

Qui ne connait pas Pierre Gattaz ? Industriel, président du groupe familial et international de haute technologie Radiall, ancien « patron des patrons » du MEDEF, il a su mener des batailles et faire bouger les choses jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat. Aujourd’hui c’est le vigneron du Luberon que nous rencontrons. Heureux propriétaire avec sa femme et ses enfants du superbe Château de Sannes, il nous parle de sa passion pour la nature et la transmission des savoirs ancestraux sur cette terre de vin bénie des dieux du Pays d’Aigues, le pays de l’eau.

Le Château de Sannes un domaine chargé d’histoire

Entre jardins à la française et forêt en liberté, prés et vallons, pièces d’eau et étangs, vignes, vergers et oliveraies, le château de Sannes exprime toute sa singularité, réussissant l’alchimie parfaite d’une nature à la fois libre et accompagnée. Si la viticulture en Luberon remonte à l’Antiquité, l’histoire du domaine ne s’écrit vraiment qu’à partir de 1603. Tout d’abord simple pavillon érigé par Jean de Thibaud de Tisati, conseiller du roi Henri IV, il gagnera ses lettres de noblesse en 1661, avec son fils Melchior qui le transforme et le dote d’une chapelle et de jardins à la française.

En 1709, le mariage d’Antoine de Saquy avec la fille de la maison, Françoise, lui offre ses doubles armoiries. C’est leur fils Charles qui y développera la viticulture. Un élan agronome qui sera anéanti par la grande épidémie mondiale de phylloxéra du XIXème siècle. Il faudra attendre 1960 pour que le vignoble renaisse. Le chais construit en 1973 sera détruire en 1996 par Lady Hamlyn, veuve d’un grand éditeur anglais nouvellement propriétaire et peu intéressée par le vin. Elle cèdera le domaine en 2017 à son actuel acquéreur, Pierre Gattaz.

« Faire plutôt que dire et toujours montrer l’exemple »

Pourquoi un vignoble dans le Luberon ?
J’ai eu envie d’un projet entrepreneurial et familiale avec ma femme et mes enfants. Mes vacances entre cousins en Provence ont bercé toute mon enfance. J’allais chercher les fossiles, baroudant dans les collines avec un prêtre ami de la famille féru de géologie, paléontologie et botanique. C’est ma madeleine de Proust. Quand vous faites 5 ans de combat au MEDEF dans un environnement politique compliqué, voir hostile, vous en prenez plein la figure, vous êtes épuisé. J’avais besoin de me ressourcer. Nous avons eu la chance de trouver Sannes. Idéalement situé à 400m d’altitude, la présence de beaucoup d’eau sur le domaine est un atout face au réchauffement climatique. Outre ses très beaux bâtiments du 17ème, il y avait 33 hectares de vigne déjà cultivés sans pesticides et un vigneron qui avait 30 ans d’expérience. Les cuvées du domaine autrefois réputées n’existaient plus. Nous avons choisi de tout recréer, cultiver en bio, de construire un chai, une boutique et d’accueillir des événements culturels et économiques. Ce projet nous passionne. Nos trois dernières vendanges ont été vinifiées au domaine avec 50% de rosé, 25% de blanc et 25% de rouge. 

Que recherchez- vous ici ?
L’authentique, la nature, la biodiversité. Si je n’avais pas été industriel j’aurais fait agro ! J’aime les arbres, la vigne dont les racines très profondes plongent dans la géologie du terroir, ces calcaires argileux du nord du domaine et les safres, des sables argileux au sud, plus près de la Durance, tout cela me passionne, presque autant que le produit fini. On s’appuie sur les savoirs ancestraux, des sourciers cherchent les sources et les points d’énergie dans le domaine. On développe avec eux un parcours de sylvothérapie dans la forêt. Je suis curieux de tout ! On comprendra peut-être mieux un jour l’importance des énergies naturelles et des interactions entre les arbres et les hommes. Tout ceci s’expliquera sans doute rationnellement un jour. Nous ne sommes qu’au 21ème siècle. La vigne s’épanouit au cœur de cette biodiversité. Nous avons des ugnis blancs centenaires qui sont la signature de notre Grand Blanc de Sannes. 

Parlons vins !
Nous voulons produire plus de blancs, très identitaires du Luberon. La biodynamie m’intéresse, j’y pioche ce qui me parait le plus rationnel, comme l’influence de la lune prise en compte depuis toujours par les vieux paysans. Le climat frais l’hiver sollicite beaucoup la vigne, donnant des vins très rafraichissants. Une fraîcheur naturelle que l’on veut retrouver dans nos vins. C’est notre identité. Nos blancs aux arômes de fruits blancs avec de beaux amers en final, ont été sélectionnés par des chefs comme Thierry Marx, Guy Savoy, Taillevent. On est assez fier du parcours effectué, de cette montagne que l’on gravit marche après marche. C’est long, c’est dur, il faut se faire connaitre, faire goûter. Luberon n’est pas une appellation très connue. Nous voulons développer un festival « Vins et passion du Luberon » le 13 août prochain avec des vignerons, des producteurs et des passionnés de l’histoire de ce territoire. De grands personnalités du vin comme Jean Robert Pitte, Antoine Pétrus et Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde, seront conviés avec le public à une dégustation à l’aveugle, afin de primer les vins de cette 1ère édition. 

Le challenge est-il un moteur ?
C’est la vie ! Il faut qu’il y ait du piquant, des défis, une prise de risques si possible mesurés. Ce domaine viticole est un vrai risque, un vrai projet entrepreneurial, je me suis endetté, je dois rembourser, c’est le jeu, et c’est une belle entreprise que d’être au cœur de la nature. 

Et vous y croyez ?
Si vous n’y croyez pas vous êtes mort. Il faut la foi pour créer et développer une entreprise. Il y a l’audace de l’idée du début, le courage de se jeter à l’eau, la témérité de surmonter les obstacles, et toujours un petit grain de folie. Rien n’est jamais acquis. Château de Sannes est un projet à long terme. Je suis content qu’un de mes fils soit entré à mes côtés dans l’exploitation. Le métier du vin demande un temps long très important à transmettre.

Qu’est-ce que la réussite pour vous ?
C’est le bonheur d’avoir fait ce que vous avez envie de faire. Un ermite dans sa grotte à Roquebrune sur Argens est sans doute en position de réussite. Il a voulu être ermite, en contact avec la nature, heureux avec lui-même. Pour d’autres, c’est faire un métier passionnant, comme vous.

Pour certains c’est faire un empire financier formidable, et tant mieux s’ils sont heureux et en accord avec eux-mêmes. Parfois c’est d’être vigneron et se confronter à la nature. C’est assez proche du bonheur et très personnel. Chacun voit sa réussite à sa porte, en cohérence avec ses valeurs profondes, afin de pouvoir se dire : « J’ai fait ce que j’ai voulu faire. » 

Aujourd’hui, par rapport à cette définition, avez-vous réussi ?
Dire j’ai réussi vous met dans une impasse. C’est horrible. J’avance, comme un alpiniste dans une montagne, je me rapproche d’un sommet qui s’éloigne toujours un peu. Je suis en cours d’ascension et j’embarque des équipes avec moi. Comme pour l’association « Y croire » que j’ai lancée pour des chômeurs cassés par la vie, à qui on restaure l’estime d’eux-mêmes. Ils sont transformés par nos formations, notre bienveillance, notre écoute. C’est quelque chose d’important et très personnel qui me rend heureux. Et il y a encore plein de choses à faire…

Crédit photo : Michel Zingraf