PAR NADèGE MOHA

Crédit photo : Thierry Lefort

A l’image de Cézanne, un de ses peintres de référence qui peignait avec passion et persévérance 80 visages de la Sainte Victoire, Thierry Lefort peint des paysages industriels et urbains de la Californie avec une extrême beauté, une grâce et une source créatrice intarissable

Rencontre avec sa peinture

Au cours d’une soirée musicale et d’une exposition au Château de Sannes, l’été 2022, je découvre pour la première fois l’univers et la peinture de celui que l’on surnomme « le chasseur d’ombres « Je suis immédiatement émue par l’élégance qui émane de cet univers éclaboussé de couleurs et de lumière et je reconnais à travers ces paysages inattendus, certains quartiers de Los Angeles qui ne me sont pas inconnus. C’est ensuite une sensation étrange de pureté qui m’envahie à travers sa peinture car le temps semble avoir été volontairement gommé, englouti, comme un arrêt sur image sur un écran de cinéma, une photo figée. De plus, l’absence totale de présence humaine dans ses tableaux me renvoie à ma propre imagination et l’artiste à sa propre solitude. Ce sont certainement ses trois années d’étude passées dans un temple Shaolin dans la province du Henan en Chine à apprendre l’art de la calligraphie et la discipline des arts martiaux qui donnent à ses œuvres ce sentiment de dépouillement total et d’absolue sérénité. Ces représentations urbaines fortes en couleur dépourvues de personnage n’en sont pas moins dépourvues de vie, ni de poésie, et encore moins d’élégance ; C’est une élégance exquise qui surgit de ces longues potences télégraphiques, si caractéristiques des villes californiennes avec leurs mythiques Washingtonia, de ces lignes , de ces traits forts ou fragiles, pleins ou creux qui viennent se perdre et se croiser dans le ciel comme s’ ils cherchaient à atteindre une dimension mystique et à se soustraire au monde terrestre …

Crédit photo : Thierry Lefort

« On commence à trouver son style lorsqu’on commence à transgresser ce qu’on a appris. »

Un chasseur d’ombres …

Se fichant des modes, Thierry Lefort aime transgresser les codes de l’art. Ce qui est profondément saisissant dans la peinture de Thierry Lefort c’est cette quête effrénée obsessionnelle des ombres, qui de par leur contraste, donnent toute la force et la puissance à ses œuvres. Il faut bien admettre que la lumière vive de Los Angeles qui se projette en négatif sur le macadam est une bénédiction pour lui. Les ombres portées sont volontairement épaissies au trait fort, enchevêtrées comme des racines, avec des formes étranges de toiles d’araignées de salamandres de dentelles dévorées. Elles donnent à la peinture de Thierry Lefort toute son ADN, sa dimension divine, sa signature artistique.

Des couleurs comme des accords de musique

D’un pinceau long comme un archer, Il assemble les couleurs entre elles avec la délicatesse innée d’un accord de musique. En effet, le mariage des couleurs est un élément essentiel dans la peinture de Thierry Lefort. Les couleurs sourdes et sombres, bleu outremer, ardoise des ombres sont exaltées par le contraste et la richesse et l’assemblage savant des teintes entre elles, lumineuses, crues, fraiches, acides, violentes, éclatantes, des vert anis des vert sombres alliés à des jaunes et des corail parsemés de quelques touches de rouge. Une note de musique a besoin de plusieurs notes pour former un accord. Une couleur a besoin d’un accord avec d’autres couleurs pour vibrer. Ici, L’émotion et la vibration des couleurs entre elles sont intenses. Et ce bleu ? Parlez- moi du bleu, de votre bleu : « le bleu fascine les peintres car le bleu est la couleur du ciel, de la Royauté, des emblèmes religieux, le bleu est la couleur la plus chaude. Dans une flamme, c’est le bleu qui brûle, ce n’est pas le rouge. Le bleu traverse l’épiderme et traverse la rétine. » La Maison Marin lui a proposé de réaliser son bleu.

Le bleu de Thierry LEFORT est luminescent, il submerge de sa fraicheur, il est si puissant qu’il vous interpelle un peu comme un cri. C’est ce bleu sublime, dont il garde le secret, un bleu en accord parfait avec sa palette de couleurs contrastées par les ombres portées, qui insuffle avec délicatesse le tempo à sa peinture, révélant ainsi au grand jour l’étendue et la grâce de ce talent unique. Un soir d ‘été, j’ai fait un merveilleux voyage au pays de l’ombre et de la lumière…de la grâce et de la quiétude. J’ai traversé le tableau, j’ai traversé les paysages, et j’ai eu l’envie irrésistible d’y rester.

Crédit photo : Thierry Lefort

« Je juxtapose certaines couleurs entre elles pour générer une vibration »

Thierry Lefort, Comment la peinture est -elle venue à vous ?
Je me suis intéressé à la peinture très jeune dès l’âge de 7 ou 8 ans. Mes deux oncles maternels d’origine tchèque, étaient des artistes, ils chantaient et l’un des deux peignait. Il venait nous voir à Paris, et lorsqu’il repartait, il nous offrait ses peintures de paysages qu’il avait faites. Dès qu’il s’en allait, je m’amusais à recopier ces paysages. Très tôt je me suis intéressé à la peinture et aux impressionnistes. Mon grand -père paternel peignait aussi et mon père qui était un artiste à sa manière achetait des tableaux. Je n’étais pas un très bon élève en classe, je n’étais pas un méchant garçon non plus, mais pour me faire pardonner de mon manque d’intérêt pour l’école, j’offrais mes petits tableaux à mes professeurs. J’ai quitté le cycle scolaire à 12 ans.

Lorsque vous peignez aujourd’hui, ressentez -vous toujours la même émotion que lorsque vous étiez enfant ?
Oui, depuis que je suis enfant c’est toujours la même émotion qui m’anime, une même envie, une envie irrésistible qui arrive par vague, elle s’en va , elle revient.

Qu’avez-vous appris à Shaolin pendant 3 ans et comment êtes -vous ressorti de cette expérience initiatique :
Lorsque je suis parti à 28 ans en Chine au temple Shaolin, je suis parti faire une quête spirituelle. J’ai pratiqué les arts martiaux, le bouddhisme la méditation le chi gong le tai chi et la calligraphie. J’ai appris à tracer un trait, à l’affirmer, à faire un trait parfait qui utilise le plein, le vide, la finesse, le toucher du papier. Il faut parfois des années pour réaliser un trait ! Mon travail a commencé à se préciser après cette expérience au temple. Je suis ressorti de ces 3 années profondément modifié, comme quelqu’un qui aurait eu un traumatisme très grave, qui aurait frôlé la mort, et qui ne voit plus la vie de la même façon avec une conscience totale de l’existence et de la valeur de la vie. Curieusement je ne me suis jamais senti aussi libre que lorsque je vivais dans ma chambre de 3 m2 à Shaolin, mon imagination voyageait beaucoup plus, alors qu’aujourd’hui je peux avoir tout ce que je désire, partir en voyage où et quand je veux.

Quels sont vos maitres en peinture ?
Bizarrement, Je n’ai jamais eu de maitres dans ce sens, cela peut paraitre prétentieux. J’ai toujours été fasciné par la multiplicité des peintres et des genres depuis la Renaissance italienne en passant par l’Age d’Or du Baroque, l’impressionnisme, les peintres modernes, la peinture américaine.

Vous vous définissez comme un peintre figuratif subjectif ?
Oui. Ce qui m’intéresse, dans la peinture c’est la transition et le moment précis qui bascule de la figuration à l’abstraction tout en restant dans les deux. Si on prend en photo un flocon de neige et qu’on l’agrandit à l’infini cela peut paraitre abstrait et pourtant c’est la réalité, c’est du figuratif. L’abstraction en tant que telle n’existe pas.

Pourquoi dans vos paysages, les personnages sont ils absents et pourtant les titres de vos peintures évoquent la présence humaine et le monde du cinéma ?
Je ne veux pas que mes tableaux deviennent des scènes de vie, cela est réservé à la photo. Je veux que ma peinture soit une harmonisation de couleurs, de formes qui fassent du bien à la rétine. Le personnage, c’est nous qui rentrons dans le tableau. Quant aux titres de mes peintures, ils semblent décalés mais dans la réalité, ils font référence à ce que je vis dans mon quotidien, à travers mes rencontres : Un jour, j’ai peint une encre intitulée La danseuse car pendant que je dessinais le croquis, dans un quartier de Los Angeles, j’assistais en même temps à une scène surréaliste : Devant moi, une jeune femme dansait sur la route. J’ai également fait la connaissance de la femme de Peter Falk, Colombo, qui donnait ses répliques dans les rues où je peins, d’où les références aux titres de films un peu décalés.

Crédit photo : Philippe Magoni

A quel moment savez que votre tableau est terminé ?

Je sais que mon tableau est terminé lorsque le risque n’est plus à prendre. Après c’est du remplissage.

Parlez -moi de l’ombre dans votre peinture ?
Dans la peinture traditionnelle, les ombres sont traitées de façon très diluée très fluide surtout dans le pré impressionnisme. Lorsque je suis arrivé en Californie j’ai commencé à me passionner pour les ombres, à leur trouver des formes et à vouloir les mettre au même niveau de valeur que les couleurs. J’ai commencé à vouloir transgresser ce que j’avais appris. Mon atelier se trouve à Studio City, à côté de Hollywood. Je consacre plusieurs jours par semaine à barouder et à chercher des coins qui me passionnent et lorsque j’en trouve un qui me plait je reste des semaines sur place à rechercher des ombres à faire des croquis sur le même sujet. Parfois je combine plusieurs croquis ensemble.

Des rencontres déterminantes ?
Ma rencontre avec Philippe Lejeune fondateur de l’École d’Étampe a été déterminante, il était détenteur d’un savoir- faire de peinture ancestral, C’était un homme très érudit. J’ai travaillé aux cotés de JO BLEINSTEIN aux États Unis qui a enseigné avec une figure importante des années 60, le peintre Richard Diebenkorn de L’école de San Francisco. J’ai appris beaucoup des fondements de Richard aux côtés de Jo Bleinstein. Puis vient ma rencontre avec YoYo MAEGHT : elle avait publié un de mes tableaux sur sa page FB sans savoir qui j’étais. Puis quelques mois plus tard, elle m’a contacté et elle est venue visiter mon atelier. Il s’est alors produit un coup de foudre artistique immédiat entre nous, comme entre Claude Sautet et Romy Schneider lorsqu’ils se sont rencontrés. YOYO MAEGHT a ouvert une dimension artistique supplémentaire à mon travail. C’est une femme qui n’a pas peur de mouiller sa chemise, elle a un projet, elle fonce.

Comment vivez- vous votre célébrité ? :
Comme disait Edith Piaf, le succès peut être tragique. J’ai la tête sur les épaules et je garde la tête froide, il faut rester soi -même, continuer à peindre ce que l’on ressent, sans chercher à plaire, car le public est terrible. Il veut du changement et en même temps il n’en veut pas. Je vis l’instant présent. Si j’ai un rêve je le réalise. Si j’ai envie de partir en Chine ou en Australie ou bien aux Usa, je pars tout de suite. Je ne garde chez moi aucun de mes tableaux. Le tableau que je préfère de moi c’est celui que je ferai demain. Ce qui m’importe c’est aujourd’hui et demain. Je ne regarde jamais dans mon rétroviseur. J’ai 55 ans ce n’est pas jeune mais ce n’est pas vieux, mais il ne me reste plus que dix-neuf étés et un printemps à vivre bien !!!

Du temple de Shaolin à los Angeles il y a un fossé de civilisation et pourtant ?
En fait je m’adapte à tout, j’adore dormir dans un 5 étoiles, mais je peux aussi passer 3 mois dans une cellule ou une décharge. Le luxe a toujours sa limite. J’aime la beauté et j’aime beaucoup la laideur également. »

« La laideur est supérieure à la beauté car elle dure « Gainsbourg

BIOGRAPHIE

Ce petit frenchy autodidacte est né en 1967. Il partage sa vie entre son atelier de Saint Ouen sur Seine et son atelier à Studio City à los Angeles où il vit depuis 8 années. Il connait actuellement un succès fulgurant. La mairie de Burbank, surnommée la capitale mondiale des Médias, ville voisine de Los Angeles lui a commandé une fresque murale de 150 m2 qu’il a réalisé seul et qu’il vient juste d’achever au mois d’aout 2022.

La célèbre galeriste Yoyo Maeght, à l’automne 2022, organise pour lui à Paris, une exposition magistrale intitulée Fahrenheit. Le succès est retentissant. Des œuvres immenses sont dévoilées au grand public ainsi que de touts petits tableaux, tous d’une puissance saisissante.

Il est exposé par deux fois au Musée d’Art moderne, à Tokyo, au musée Constantin à Saint Pétersbourg et à travers le monde. Il a à son actif une vingtaine de prix et de distinctions.

Il enseigne la peinture dans des ateliers à Paris, donne des sessions de formation dans le sud de la France, aux États -unis au Maroc en Italie.
Peintre reconnu sur la scène internationale, Thierry Lefort se définit comme un peintre figuratif subjectif.